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Page:Léon Daudet – Le Monde des images.djvu/36

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qu’une permission dont on n’use pas. Les jeux intérieurs de l’esprit humain retrouvent là plus tard, en intensité mélancolique, quelque chose d’analogue à cette alacrité. On dirait que les parcelles brillantes ou moroses de l’imagination créatrice héréditaire se conforment au moutonnement des vagues, qu’elles s’éclairent, puis s’éteignent devant la conscience, de la même façon.

La route, principalement longeant un fleuve, joue un rôle analogue. Pendant vingt ans, chaque été j’ai fait, chaque jour, pendant un mois, ou deux, ou trois, le même trajet à pied au bord de la Loire, confrontant mes états d’esprit avec ceux de l’année précédente, constatant les points où j’avais progressé, ceux où ma réflexion était demeurée en panne, dressant ainsi une carte assez complète de l’enfant et du jeune homme persistants et attardés dans l’âge mûr. Rien n’est plus profitable à l’âme que de s’enivrer ainsi d’introspection et de sentir son cas individuel se perdre dans l’immensité du genre humain, tel un ruisselet dans l’océan. J’ai fait ainsi, en vingt ans, deux constatations essentielles :

La première, que chaque personnalité a deux vies qui se poursuivent parallèlement : celle des circonstances extérieures, des événements heureux ou malheureux, des apports de toute sorte. Puis celle des images, émanant du moi, qui se développe et se complique sous la surveillance attractive ou répulsive du soi, émanant, en dernière analyse, des ascendants. De ces deux vies, la plus intense est