Aller au contenu

Page:Léon Daudet – Le stupide XIXe siècle.djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
208
LE STUPIDE XIXe SIÉCLE.

préciation, il existe en soi. Il y a un beau, extrait de la nature. Il y a un beau, extrait de l’imagination. Il y a un beau, enfin, extrait, partie de la nature, et partie de l’imagination. De même que certains mots dérivent de la mémoire individuelle, certaines racines verbales de la mémoire héréditaire, et que certains termes participent de la mémoire individuelle et de la mémoire héréditaire. Mais il y a aussi, chez beaucoup d’êtres, une propension naturelle au beau, qui se remarque dans une paysanne, par exemple, portant sa cruche légère sur son épaule ronde, ou dans une mère rieuse jouant avec son jeune enfant nu ; et ce beau-là peut aller jusqu’au sublime.

Parlant de là on se rappelle les innombrables querelles du Stupide : « Il n’y a que la nature… Il n’y a que l’Idéal… Il n’y a que le labeur, que l’effort… Il n’y a que la spontanéité… etc. » Le couchant est-il pourpre, doré, vert ou violet ? Il est tout cela à la fois et, pourtant, presque insaisissable ; car la fugacité du beau n’a d’égale que sa certitude. Il est indubitable et essentiel comme la mort, et, comme elle, ne dure qu’un moment ; or, c’est lui qui donne son prix à toute l’existence. Les temps sans beauté morale, intellectuelle, physique doivent être considérés comme des malheurs et je pense qu’en effet, matériellement et spirituellement, ils aboutissent à des catastrophes. Il y a une relation voilée, mais constante, entre l’esthétique générale et la quiétude dans la sincérité ; c’est ce que l’on appelle les heures dorées. La poésie (qui est la