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Page:Léon Daudet – Le stupide XIXe siècle.djvu/222

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LE STUPIDE XIXe SIÉCLE.

Par la suite, il fallut déchanter ; la morphine, bien et mal suprême, diable chimique, avait un envers qui tuait.

Vers la fin du XIXe siècle, où les prétendus génies avaient foisonné, tout au moins dans les journaux quotidiens, sans amener le bonheur universel, une certaine lassitude poussa quelques-uns à brûler ce qu’ils avaient adoré. Ce fut la théorie pathologique, et même aliéniste, de l’homme de génie, aussi comique et absurde, en son universalité, que la théorie contraire du génie demi-Dieu. On prétendit qu’Hercule était un fou, chargé de tares épouvantables. On découvrit le pouls lent de Bonaparte et sa manie de compter les fenêtres, quand il entrait dans une ville prise. Finalement, au début du XXe siècle (où se prolongent encore la plupart des erreurs et stupidités du XIXe) on aboutit à cette conclusion, tout de même plus raisonnable, qu’il y a des génies bienfaisants et équilibrés, des génies malfaisants et déséquilibrés. Mais quel chagrin pour les philosophes du libéralisme, aux yeux desquels personne n’est très bien, ni très mal, et le monde est composé d’un vaste assemblage de « ni bien, ni mal » plantés, çà et là, d’hommes de génie, lesquels éclairent la route de l’évolution, sœur du progrès indéfini !

Quinet précise et vaticine : l’homme de génie est celui qui crée quelque chose qui n’existait pas encore, qui extrait du chaos une forme nouvelle. Le brave homme était nourri de germanisme et allait joindre, aux monstres du romantisme français, la tératologie romantique allemande. C’était, pour l’esprit, un