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Page:L’Algèbre d’Omar Alkhayyami.djvu/17

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Soûfis des temps postérieurs ont accueilli le sens apparent d’une partie de ses poésies et puis les ont accommodées à leurs doctrines, de sorte qu’ils en font l’objet de discussions dans leurs assemblées et ans leurs réunions privées. Mais le sens caché (*[1]) de ses poésies consiste en axiomes de la religion universellee (**[2]), et en principes généraux embrassant les devoirs pratiques. Comme les hommes de son temps blâmaient ses opinions religieuses, et mettaient à découvert ce qu’il cachait en secret, il craignit pour sa vie, et mit un frein aux écarts de sa langue et de sa plume. Il fit le pélerinage, grâce plutôt à une rencontre fortuite que par piété ; et son extérieur trahit ses pensées secrètes, bien que rien n’en parût dans ses paroles (***[3]). Lorsqu’il fut arrivé à Bagdâd, les personnes qui s’étaient livrées aux même études que lui en fait de sciences anciennes accoururent auprès de lui ; mais il leur ferma sa porte, en homme qui avait renoncé à ces études, et non pas en homme qui fût resté leur confrère. Après être retourné de son pêlerinage dans son pays, il se rendait au lieu des prières le soir et le matin, et cachait ses secrets, qui pourtant ne pouvaient pas manquer de se révéler. Il était sans pareil dans l’astronomie et dans la philosophie ; et sa capacité éminente dans ces sciences aurait passé en proverbe, s’il avait reçu en partage le respect dsa convenances. On a de lui des poésies légères dont le sens caché perce à travers leurs expressions voilées, et dans lesquelles la veine de la conception poétique est troublée par l’impureté de l’intention cachée. Poésie :

« Comme mon âme se contente d’une aisance modeste et facile à obtenir, que toutefois ma main et mon bras ne me procurent qu’avec effort,

« Je suis à l’abri de toutes les vicissitudes de la fortune, et, dans mes malheurs, ma main et les projeta que je forme sont mon refuge.

« Les sphères dans leur mouvement n’ont-elles pas prononcé l’arrêt, que toutes les étoiles heureuses finissent par décliner vers une position funeste ?

« Persévérance donc, ô mon âme, dans les repos ! Tu en fais seulement crouler le sommet, en voulant en consolider les bases. »

Ëvidemment ces lignes ne sont pas l’œuvre d’une main amie. A les en croire, le caractère d’Alkbayyâmi n’aurait été qu’un mélange d’impureté et d’hypocrisie. Mais tout ce qu’elles s’efforcent de jeter d’ombre sur la moralité de notre auteur ne sert qu’à faire ressortir d’une manière plus brillante l’hommage qu’elle& ne peuvent refuser au mérite du savant. C’est un homme détestable, mais c’est un astronome sans pareil ; c’est peu~être un hérétique ; mais, à coup sûr, c’est un philosophe du premier ordre.

Trois cents ans plus tard, les passions avaient eu le temps de se calmer. La connaissance ou du moins le bruit des découvertes d’Alkhayyâmi s’était répandu jusqu’en Espagne, et Ibn Khaldoûn y put faire allusion dans ses Prolégomènes (****[4]). Alors ce n’est plus ni l’hypocrite ni le libertin Alkayyâmi ; c’est simplement un des plus grands géomètres de l’Orient. »

  1. *) C’étaient de semblables « sens cachés » que les Ismaéliens croyaient découvrir dans les livres sacrés de l'islamisme, qui leur firent donner le nom de Bâtiniens.
  2. **) Il aurait été plus naturel de dire : r, — !, ia..l. r-1} ; alors le sens « en axiomes renfermant les dogmes religieux, et en maximes qui comprenaient les devoirs pratiques, » répondrait mieux au parallélisme de la phrase.
  3. ***) Peut-être faut-il lire J’r il d aU lieu de J 1., —J I tJ’, et traduire : « Il laissa échapper des secrets qui n'étaient pas trè-purs, pas conformes à l'honnêteté. »
  4. ****) Le passage dont je veux parler fartie du chapitre que j'ai indiqué dans la note