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Page:La Brochure mensuelle, n° 16, avr. 1924.djvu/15

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Voter, c’est accepter la Servitude.


Les anarchistes n’ont jamais eu de représentant siégeant dans les assemblées parlementaires. Tu as parfois entendu traiter d’anarchistes MM. Clemenceau, Briand et d’autres parlementaires. Ils ne le sont pas ; ils ne l’ont jamais été.

Les anarchistes n’ont pas de candidat. Au surplus un candidat qui se présenterait comme anarchiste n’aurait pas une seule voix, puisque les anarchistes s’abstiennent de voter.

Ils refusent de se servir du bulletin de vote que la Constitution met entre leurs mains.

Ne suppose pas que ce soit pour ne pas faire comme les autres, pour se singulariser. Sache que les raisons pour lesquelles les anarchistes s’abstiennent sont multiples et graves.

Ces raisons les voici brièvement exposées.

L’anarchiste est et veut rester un homme libre. Il est clair que comme tous ses frères en humanité, il est astreint à subir la loi ; mais c’est à son corps défendant et quand il s’y soumet, ce n’est pas qu’il la respecte ni qu’il estime équitable de s’incliner devant elle ; c’est parce qu’il lui est impossible de s’y soustraire.

Toutefois, il n’en accepte ni l’origine, ni le caractère, ni les fins. Tout au contraire il en proclame et se fait fort d’en démontrer l’iniquité.

À ses yeux, la loi n’est, à ce moment de l’histoire que nous vivons, que la reconnaissance et la consécration d’un régime social issu des usurpations et des spoliations passées et basé sur la domination d’une caste et l’exploitation d’une classe.

Ce régime ne peut vivre et continuer qu’en empruntant son apparente et temporaire légitimité au consentement populaire.

Il est dans l’obligation de s’appuyer sur l’adhésion bénévole de ceux qui en sont les victimes : dans l’ordre politique, les citoyens ; dans l’ordre économique, les travailleurs.

C’est pourquoi tous les quatre ans, le peuple est appelé à désigner par ses suffrages les individus à qui il entend confier le mandat de se prononcer sur toutes les questions que soulève l’existence même de la nation.

Ces questions sont réglées par un ensemble de prescriptions et de défenses qui ont force de loi et la loi dispose, contre quiconque tente d’agir contre elle et, à plus forte raison contre quiconque la viole d’une telle puissance de répression que tout geste de révolte par lequel un homme proteste contre l’injustice de la loi et tente de s’y dérober est passible des plus dures pénalités.

Or le Parlement est l’assemblée des individus à qui le suffrage dit universel a délégué le pouvoir d’édicter la loi et le devoir d’en assurer l’application. Le député et le sénateur sont avant tout des législateurs.

Comprends-tu, maintenant, électeur, l’exactitude de cette affirmation formulée par Élisée Reclus : « Voter, c’est se donner un maître ».

Eh oui ! Un maître ; puisque voter c’est désigner un député, c’est confier à un élu le mandat de formuler la règle, et lui attribuer le pouvoir, pis encore, lui imposer le devoir de la faire respecter par la force.