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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/128

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CONTES ET NOUVELLES.

Nul vaisseau ne parut sur la liquide plaine.
   Le jour s’acheve ; il se passe une nuit ;
Point de vaisseau prés d’eux par le hazard conduit ;
   Point dequoy manger sur ces roches :
   Voilà nostre couple reduit
A sentir de la faim les premieres approches ;
Tous deux privez d’espoir, d’autant plus malheureux,
   Qu’aymez aussi bien qu’Amoureux,
Ils perdoient doublement en leur mesaventure.
Aprés s’estre long-temps regardez sans parler :
Hispal, dit la Princesse, il se faut consoler ;
Les pleurs ne peuvent rien prés de la Parque dure.
Nous n’en mourrons pas moins ; mais il dépend de nous
   D’adoucir l’aigreur de ses coups ;
C’est tout ce qui nous reste en ce mal-heur extrême.
Se consoler ! dit-il, le peut-on quand on aime ?
Ah ! si… mais non, Madame, il n’est pas à propos
 Que vous aymiez ; vous seriez trop à plaindre.
Je brave à mon égard et la faim et les flots ;
Mais jettant l’œil sur vous, je trouve tout à craindre.
La Princesse à ces mots ne se pût plus contraindre.
 Pleurs de couler, soûpirs d’estre poussez,
  Regards d’estre au Ciel adressez,
 Et puis sanglots, et puis soûpirs encore :
En ce mesme langage Hispal luy repartit :
  Tant qu’enfin un baiser suivit ;
S’il fut pris ou donné, c’est ce que l’on ignore.
 
  Aprés force vœux impuissans,
 Le Heros dit : Puisqu’en cette avanture
  Mourir nous est chose si seure,
Qu’importe que nos corps des oyseaux ravissans
Ou des monstres marins deviennent la pâture ?
  Sepulture pour sepulture,
  La mer est égale à mon sens.
Qu’attendons-nous icy qu’une fin languissante ?
  Seroit il point plus à propos
  De nous abandonner aux flots ?