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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/234

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CONTES ET NOUVELLES.

Madame entend ce bruit, et sa Nourrice y court.
On luy dit qu’elle vienne admirer à son tour
Le Roy des épagneux, charmante creature,
Et vray miracle de nature.
Il entend tout, il parle, il danse, il fait cent tours :
Madame en fera ses amours ;
Car, veuille ou non son Maistre, il faut qu’il le luy vende,
S’il n’aime mieux le luy donner.
La Nourrice en fait la demande.
Le Pelerin, sans tant tourner,
Luy dit tout bas le prix qu’il veut mettre à la chose ;
Et voicy ce qu’il luy propose :
Mon chien n’est point à vendre, à donner encor moins,
Il fournit à tous mes besoins :
Je n’ay qu’à dire trois paroles,
Sa pate entre mes mains fait tomber à l’instant,
Au lieu de puces, des pistoles,
Des perles, des rubis, avec maint diamant.
C’est un prodige enfin ; Madame cependant
En a, comme on dit, la monnoye.
Pourveu que j’aye cette joye
De coucher avec elle une nuit seulement,
Favory sera sien dés le mesme moment.
La proposition surprit fort la Nourrice.
Quoy ! Madame l’Ambassadrice !
Un simple Pelerin ! Madame à son chevet
Pourroit voir un bourdon ! Et si l’on le sçavoit !
Si cette mesme nuit quelque Hospital avoit
Hebergé le Chien et son Maistre !
Mais ce Maistre est bienfait, et beau comme le jour ;
Cela fait passer en Amour ;
Quelque bourdon que ce puisse estre.
Atis avoit changé de visage et de traits ;
On ne le connut pas, c’estoient d’autres attraits.
La Nourrice ajoustoit : A gens de cette mine
Comment peut-on refuser rien ?
Puis celuy-cy possede un Chien
Que le Royaume de la Chine