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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/314

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CONTES ET NOUVELLES.

Qu’on soit bien fait, qu’on ayt quelque talent,
Que les cordons de la bourse ne tiennent,
Je vous le dis, la place est au galant.
On la prend bien quelquefois sans ces choses.
Bon fait avoir neanmoins quelques doses
D’entendement, et n’estre pas un sot.
Quant à l’avare, on le hait ; le magot
A grand besoin de bonne retorique :
La meilleure est celle du liberal.
Un Florentin, nommé le Magnifique,
La possedoit en propre original.
Le Magnifique estoit un nom de guerre
Qu’on luy donna ; bien l’avoit merité :
Son train de vivre, et son honnesteté,
Ses dons sur tout, l’avoient par toute terre
Déclaré tel ; propre, bien fait, bien mis,
L’esprit galant, et l’air des plus polis.
Il se piqua pour certaine fémelle
De haut estat. La conqueste estoit belle :
Elle excitoit doublement le désir ;
Rien n’y manquoit, la gloire et le plaisir.
Aldobrandin estoit de cette Dame ’
Bail et mary : pourquoy bail ? ce mot là
Ne me plaist point ; c’est mal dit que cela ;
Car un mary ne baille point sa femme.
Aldobrandin la sienne ne bailloit,
Trop bien cét homme à la garder veilloit[1]
De tous ses yeux ; s’il en eust eu dix mille,
Il les eust tous à ce soin occupez :
Amour le rend, quand il veut, inutile ;
Ces Argus là sont fort souvent trompez.
Aldobrandin ne croioit pas possible
Qu’il le fust onc ; il défioit les gens.

  1. A partir de l’édition de 1685, ces cinq derniers vers sont remplacés par les trois suivants :
    Mari jaloux ; non comme d’une femme,
    Mais comme qui depuis peu jouïroit
    D’une Filis. Cet homme la veilloit….