Aller au contenu

Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 16.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

part à cette famine inexprimable pendant laquelle tout ce qui pouvait être mangé l’avait été, je ne laissais pas d’avoir toujours secrètement gardé un perroquet que j’avais, aussi gros qu’une oie, prononçant aussi nettement qu’un homme ce que l’interprète, dont je le tenais, lui avait appris de la langue française et de celle des sauvages, et du plus charmant plumage. Le grand désir que j’avais d’en faire présent à M. l’amiral me l’avait fait tenir caché cinq ou six jours, sans avoir aucune nourriture à lui donner ; mais il fut sacrifié comme les autres à la nécessité, sans compter la crainte qu’il ne fut dérobé pendant la nuit. Je n’en jetai que les plumes : tout le reste, c’est-à-dire, non-seulement le corps, mais aussi tripes, pieds, ongles et bec crochu, soutint pendant quatre jours quelques amis et moi.

» Enfin Dieu, nous tendant la main du port, fit la grâce à tant de misérables, étendus presque sans mouvement sur le tillac, d’arriver, le 24 mai 1558, à la vue des terres de Bretagne. Nous avions été trompés tant de fois par le pilote, qu’à peine osâmes-nous prendre confiance aux premiers cris qui nous annoncèrent notre bonheur. Cependant nous sûmes bientôt que nous avions notre patrie devant les yeux. Après que nous en eûmes rendu grâces au ciel, le maître du navire nous avoua publiquement que, si notre situation eût duré seulement un jour de plus, il avait pris la résolution, non pas de nous faire tirer au sort (comme il