Aller au contenu

Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 25.djvu/129

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui semblait chef du canton, se berçait voluptueusement sur son coussin de bois. Deux domestiques préparaient son dessert devant lui, en mêlant de l’eau, du fruit à pain et des bananes, dans un grand vase de bois, où ils mirent de la pâte aigrelette de fruit à pain fermenté (appelé mahié) : ils se servaient pour cela d’un pilon de pierre noire polie, qui me parut être une espèce de basalte. Sur ces entrefaites une femme assise près de lui remplissait par poignées la bouche de ce glouton, des restes d’un grand poisson bouilli, et de plusieurs fruits à pain qu’il avalait avec un appétit vorace. Une insensibilité parfaite était peinte sur son visage, et je jugeai que toutes ses pensées se bornaient au soin de son ventre. Il daigna à peine nous regarder ; et s’il prononçait quelques mono-syllabes quand nous jetions les yeux sur lui, c’était seulement pour exciter sa nourrice et ses valets à faire leur devoir avec empressement. La vue de ce chef, et les réflexions qu’elle fournit, diminuèrent le plaisir dont nous avions joui dans nos différentes promenades sur l’île, et surtout ce jour-là : nous nous flattions d’avoir enfin trouvé un petit coin de la terre où les membres d’une nation qui n’est plus dans le premier état de barbarie partageraient la même égalité jusque dans les repas, et dont les heures de jouissance seraient proportionnées à celles du travail et du repos. Mais nous vîmes un individu sensuel passer sa vie dans l’inaction la plus stupide, et ravir à la multitude qui tra-