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Page:La Nature, 1873.djvu/19

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LA NATURE.

et des terres submergées. En soumettant au microscope des échantillons de limon récolté aussitôt après le retrait des eaux, dans les endroits éloignés du courant où le dépôt s’est fait lentement, on constate au premier abord une infinité de matières amorphes, qui ne sont autres que des atomes terreux tenus en suspension dans le liquide. Ce résidu lavé et bouilli dans de l’eau acidulée finit par être débarrassé de vase, et laisse au fond de la capsule quelques cristaux infiniment petits de quartz, assez légers pour avoir été apportés par les eaux.

Si on procède autrement, en effleurant la pellicule superficielle du dépôt avec la lamelle de verre ou porte-objet, on recueille une foule de sporules verdâtres, mélangés de diatomées et de conferves. Tous les corpuscules que l’on rencontre dans un atome de vase sont autant de germes reproducteurs, qui, laissés dans le limon dû aux crues d’hiver, donneront naissance pendant l’été aux fungoïdes ou végétaux cryptogamiques de toute espèce, sur les croûtes desséchées des bas-fonds.

Enlevons un fragment de cette croûte pour le placer au fond d’un vase rempli d’eau ; il en sortira au bout de quelque temps une forêt submergée en miniature, pendant que la surface se couvrira, d’une pellicule. Examinées au microscope, les matières organiques qui la composent sont identiques à celles que nous trouvons sur la croûte.

On découvre aussi dans le dépôt limoneux beaucoup de substances communes, telles que des fragments de végétaux, des particules de détritus, mais jamais d’infusoires ; l’eau calme est nécessaire à leur existence ; ils recherchent les fossés d’eau stagnante, abrités du vent et garnis d’herbes, où ils puissent se réfugier.


LES EXPÉDITIONS ALLEMANDES
ET LA CONQUÊTE DU PÔLE NORD.


En 1865, la Société géographique de Londres voulut prouver qu’elle ne renonçait pas à ses glorieuses traditions. On y agita sérieusement la question de reprendre les travaux fatalement interrompus par la mort du capitaine Franklin, et de suivre les traces de son expédition dans l’Archipel polaire, situé au nord-ouest de la mer de Baffin. Le géographe Peterman, éditeur des Mitheilungen, se prononça contre le choix de cette voie. Son opinion, à laquelle les géographes anglais attribuaient malheureusement un grand poids, suffit pour paralyser les efforts des hommes intelligents qui voulaient tenter un grand effort, et d’intrépides marins qui s’offraient pour s’exposer volontairement à des dangers de tout genre. Les scrupules que le Strabon de Gotha est parvenu à faire naître n’ont point encore disparu, et tous les efforts des sociétés savantes d’Angleterre ne peuvent arracher au gouvernement de M. Gladstone la promesse d’un subside en argent et en navires. Malheureusement pour la science universelle, la Grande-Bretagne est administrée par des hommes économes de ses trésors et qui ne sont prodigues que de sa gloire !

Mais les Américains Hayes et Kane avaient fait de trop belles découvertes au nord-ouest du Groenland pour que les sophismes germaniques aient pu faire perdre de vue cette direction si féconde en triomphes. Aussi, dès le mois de juin 1871, le généreux Grinnel remettait au capitaine Hall le drapeau qui a servi à Hayes, et le Polaris partait de New-York pour la glorieuse croisière dont l’issue préoccupe aujourd’hui tous les amis de la conquête du pôle.

Après avoir réussi à paralyser l’effort des entreprises britanniques, le docteur Peterman se préoccupa du soin d’organiser au profit de sa nation et de sa gloire personnelle une expédition dont il prendrait la direction exclusive. Enflammé par le succès facile qu’il obtint en s’appropriant une idée conçue et pratiquée par l’intrépide baleinier anglais Scoresby, le directeur des Mitheilungen ouvrit une souscription nationale pour atteindre la fameuse Mer libre du pôle, en passant par la mer qui sépare le Spitzberg du Groenland, et en suivant les côtes orientales de ce continent glacé. Il y a quelques années, nous étions presque seul à mettre en doute l’existence d’un océan Arctique que personne n’a vu, mais dont les calculs du baron Plana annonçaient l’existence d’une façon considérée comme infaillible. Depuis lors, les doutes sont venus, et l’existence de la Mer libre du pôle n’a plus autant d’adhérents, même en Allemagne, où la renommée du docteur Peterman entretient le zèle scientifique en sa faveur[1]. Nous nous trompons fort si le résultat des expéditions, actuellement bloquées par les glaces, n’aboutit point à un Sedan scientifique, dont la victime serait un savant allemand.

C’est peut-être la première fois qu’un géographe a conçu l’idée de guider du fond de son cabinet des explorateurs chargés d’une tâche si ardue, si périlleuse. C’est aussi la première fois que des navigateurs ont consenti à suivre servilement les ordres donnés par un savant podagre qui ne quittait point le coin de son feu.

Le résultat de ces efforts burlesques n’a point été de nature à justifier cette manière de procéder, si contraire à toutes les règles de la logique.

Les Allemands ont éprouvé deux échecs successifs, qu’ils ne parviendront point à transformer en victoire, quelle que soit la complaisance de leurs panégyristes de profession, dont malheureusement un cer-

  1. L’étude de la planète Mars semble fournir un argument qui serait sans réplique contre les calculs de M. Plana. En effet, l’existence de la Mer libre s’appuie sur des considérations thermiques, basées sur l’obliquité de notre axe de rotation. La planète Mars offre une disposition analogue sans que la calotte de glace qui recouvre le voisinage du pôle se trouve interrompue d’une manière visible. Ce serait probablement le contraire si le climat s’adoucissait dans le voisinage du pôle de notre terre, comme le prétend le géomètre italien.