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Page:La Nature, 1873.djvu/20

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LA NATURE.

tain nombre occupent une place dans le journalisme scientifique français.

Deux expéditions, commandées par le capitaine Kolderney, qui ont quitté successivement le port de Brême, en 1868 et en 1869, ont donné l’une et l’autre la mesure de l’incapacité des marins allemands.

Pour dissimuler l’insuccès de la première tentative, on a prétendu qu’elle n’était qu’une simple reconnaissance destinée à préparer les voies à la vraie expédition. Cette dernière était richement pourvue de provisions de toute espèce et d’instruments de toute sorte. Son personnel scientifique comprenait M. Payer, de l’état-major autrichien, lieutenant, chargé de la géologie, M. Borgen, professeur de physique, M. Copeland, astronome, M. le docteur Paulsch, etc., embarqués à bord de la Germania.

La Hansa, qui partit un peu plus tard, portait un renfort de vivres, de charbon et de savants. Il y avait à bord de ce navire un zoologiste et un botaniste. Mais l’équipage manquait de cette agilité, de cette promptitude de coup d’œil que la nature a si complétement refusé aux Allemands. Le navire ne put même pas atteindre la côte orientale du Groenland. L’équipage de la Hansa, se sauvant avec peine sur un glaçon providentiel, fut très-heureux de gagner un des établissements danois du sud du Groenland. La Germania, privée de son complément de vivres, hiverna très-difficilement à l’île Sabine, ainsi nommée parce qu’il y a un demi-siècle le major général Sabine y exécuta ses magnifiques observations pendulaires.

Pour tromper les ennuis d’un long hiver, les marins de la Germania firent quelques excursions sur la côte voisine, où il ne leur fut pas difficile de découvrir le pic Peterman et le fiord François-Joseph. Au printemps, on reconnut que la Germania était hors de service. Il fallut plier bagage et revenir bredouille dans les ports allemands.

Depuis cette époque (printemps de 1871), on prépare un compte rendu des observations qui ont été faites, et à l’aide desquelles on espère consoler les souscripteurs de leur insuccès.

Mais, pendant que les Allemands se livraient à ce cabotage arctique, une expédition scandinave, dirigée par le célèbre professeur Nordenskiold, s’avançait au milieu des glaces du Groenland et révélait à la science des faits inestimables dont nous entretiendrons avec détails nos lecteurs. Nous chercherons également quelle influence les découvertes réelles du docteur Nordenskiold ont pu exercer sur le grand ouvrage que les Allemands publient en ce moment, et où les traces d’innombrables annexions frauduleuses ne seront certainement pas difficiles à retrouver.

À l’époque où la seconde expédition du docteur Peterman hivernait au Groenland, dans les conditions que nous avons indiquées, M. de Heugelin visitait l’archipel du Spitzberg et complétait des descriptions géographiques que les Suédois n’avaient fait qu’ébaucher en 1868. Quoique M. de Heugelin ne soit que Wurtembergeois, il imagina de mettre en pratique les habitudes de M. de Bismark. Apercevant du haut d’une montagne une île faisant partie du même archipel et déjà découverte par les Suédois en 1864, il imagina de la baptiser à son tour et de lui imposer un nom nouveau en l’honneur de son souverain. M. de Heugelin, ayant fait l’année suivante (1871) une excursion dans la Nouvelle-Zemble, vient de publier deux volumes intitulés : Voyages dans la mer Polaire, où il essaye entre autre chose de justifier son procédé tout à fait germanique. Nous ne saurions protester avec trop d’énergie contre le rapt commis au préjudice de nos alliés scientifiques. Nous nous acquitterons de ce devoir avec d’autant plus de soin que nous avons vu les rédacteurs anonymes du Journal officiel enregistrer presque avec éloge l’histoire de ces tentatives des Allemands.

M. Payer, officier d’état-major autrichien, qui avait pris part à la seconde expédition de Peterman, a contracté une noble ardeur pour les expéditions polaires, en même temps, paraît-il, qu’une vive défiance pour la route signalée par le grand géographe de Gotha. Depuis le retour piteux de la Germania, on a vu cet ardent officier prendre part aux deux expéditions polaires. La première, en 1871, entre le Spitzberg et la Nouvelle-Zemble, pour reconnaître la terre de Gillis, découvertes en 1707, mais qui, depuis lors, n’avait point été une seule fois visitée. La seconde expédition qui, commencée en 1872, dure encore, a pour but d’explorer l’océan Glacial, situé au nord de la Sibérie. Nous ne tarderons point sans aucun doute à avoir des nouvelles de cette partie intéressante de l’océan Boréal. En effet, M. Payer et M. Weyprecht, ont hiverné sur la Nouvelle-Zemble, pour se préparer à une expédition qui aura lieu le printemps prochain. Dans cette première partie du voyage, les explorateurs autrichiens ont trouvé les restes de l’hivernage des marins hollandais qui ont découvert la Nouvelle-Zemble, il y a deux siècles et demi. Les nouvelles apportées à Vienne il y a plusieurs mois par le comte Weltschech, chargé du ravitaillement, sont des plus favorables, et tout fait espérer qu’aucun sinistre ne viendra arrêter ces hardis explorateurs dans leur importantes excursions.

Mais les principales espérances du monde scientifique sont concentrées sur une expédition norvégienne qui a hiverné au Spitzberg, sous le commandement du professeur Nordenskiold, et dont les apologistes de l’empire allemand évitent soigneusement de parler.

N’ayant aucun des préjugés scientifiques qui ont paralysé tant d’efforts, le professeur Nordenskiold ne compte point sur un climat plus doux et sur une chimérique mer libre, mais il se repose sur son admirable expérience des régions polaires et sur l’intrépidité de ses marins.

Nous mettrons sous les yeux de nos lecteurs le résultat des nombreuses explorations scandinaves, qui ne sont inconnues en France que parce qu’on dédaigne des hommes libres, entreprenants, qui ont su conserver intacte leur vivace nationalité. La jalou-