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Page:La Nature, 1873.djvu/290

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LA NATURE.

genre Protococcus (Protococcus atlanticus, Montagne). Cette teinte n’occupait pas moins de 8 kilomètres carrés d’étendue. M. Montagne, qui a fait connaître l’algue qui la produisait, termine ainsi son mémoire : « Si l’on considère que pour couvrir une surface d’un millimètre carré, il ne faut pas moins de 40 000 individus de cette algue microscopique, mis à côté l’un de l’autre, on restera pénétré d’admiration en comparant l’immensité d’un tel phénomène à l’exiguïté de la cause à laquelle il doit son origine[1]. »

Quant aux eaux de la mer Rouge, elles doivent la rubéfaction périodique qui les distingue à la présence d’une algue confervoïde que les naturalistes ont désignée sous le nom de Trichodesmium erythrœum, Ehrenberg. Enfin Pallas nous apprend qu’il existe en Russie un lac salé, nommé Malinovoé-Ozéro, ou lac de framboise, parce que : sa muire et son sel sont rouges et ont l’odeur de la violette. Il attribue, évidemment à tort, cette couleur aux rayons du soleil, et il ajoute qu’elle se perd par les temps pluvieux.

RUBÉFACTION DES EAUX DES MARAIS SALANTS MÉDITERRANÉENS.

Connue depuis longtemps des sauniers du Languedoc, mais étudiée pour la première fois par les savants, vers l’année 1836, et par nous-même en 1839, la coloration des marais salants méditerranéens a donné lieu, elle aussi, à des explications diverses et plus ou moins rapprochées de la vérité. MM. Audouin, Dumas et Payen, de l’Institut, l’attribuaient à des Artemia salina, petit crustacé branchiopode, qui pullule en effet dans les partennements[2] où la salure est de beaucoup inférieure au degré de saturation qui amène la précipitation du sel marin, mais qui est beaucoup plus rare dans ceux où l’eau, amenée à un très-haut degré de concentration, est quelquefois d’un rouge de sang.

MM. A. de Saint-Hilaire et Turpin, tous deux aussi de l’Institut, prétendaient que la véritable cause de cette coloration étrange était due à des végétaux microscopiques d’une organisation très-simple, auxquels ils ont donné les noms de protococcus sanguinem et hœmatococcus kermesinus. C’était aussi l’opinion de M. F. Dunal, doyen de la Faculté des sciences de Montpellier, qui s’était, avant MM. Aug. de Saint-Hilaire et Turpin, occupé de la rubéfaction des eaux de nos marais salants. Chargé moi-même, à cette époque, de l’enseignement de l’histoire naturelle au collège royal de Montpellier, où je comptais parmi mes élèves des jeunes gens qui, depuis, sont devenus des maîtres justement renommés (MM. Louis Figuier, Amédée Courty et Henri Marès, par exemple), je voulus étudier à mon tour le curieux phénomène de la rubéfaction des eaux, et, dans ce but, je me rendis aux salines de Villeneuve, situées à quelques kilomètres de Montpellier. Elles étaient alors d’un rouge fortement prononcé. Je m’empressai de faire, sur les lieux mêmes, une petite provision de l’eau dont la nuance rappelait le plus celle du sang, et je remplis également à moitié quelques flacons de celle qui, moins salée que la première, était aussi moins rouge. Examinée bientôt après au microscope, l’eau puisée dans les divers partennements me montra des myriades de petits êtres, que je décrirai ainsi qu’il suit : Corps ovale ou oblong, souvent étranglé dans son milieu, quelquefois cylindriques incolore chez les très-jeunes individus, verdâtre chez ceux qui sont un peu plus avancés, d’un rouge ponceau chez les adultes ; bouche en forme de prolongement conique, rétractile, point d’yeux, estomacs et anus indistincts.

1. Eau rouge des marais salants, puisée à la surface. — 2. La même eau reposée. — Les infusoires sont montés à la surface du liquide.

À l’aide des fortes lentilles de mon microscope, je pus apercevoir encore, à la partie antérieure de ces prétendus protococcus, deux longs prolongements flagelliformes et d’une transparence parfaite, qu’ils agitaient rapidement, et au moyen desquels ils parcouraient la goutte liquide étendue sur le porte-objet de mon instrument. Le doute n’était donc plus possible. Les protococcus et les hœmatococcus de MM. Dunal, Aug. de Saint-Hilaire et Turpin étaient des animaux : c’étaient de vraies Monades, auxquelles je fus heureux de servir de parrain. Je les baptisai du nom de Monas Dunalii, voulant rappeler ainsi que mon excellent et regretté maître, le professeur Dunal, avait été le premier à entrevoir la cause réelle de la coloration des marais salants méditerranéens, mais il n’avait fait que l’entrevoir.

En effet, il n’avait examiné nos animalcules qu’après leur mort, c’est-à-dire au moment où ils étaient devenus globuleux et immobiles comme des proto-

  1. Montagne, Annales des sciences naturelles, année 1846, p. 265 (partie botanique).
  2. Les sauniers (ouvriers des salines) du Languedoc désignent sous les noms de tables, de partennements, de pièces maîtresses, les divers compartiments où ils introduisent l’eau de mer, parvenue à différents degrés de salure.