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Page:La Revue blanche, t20, 1899.djvu/132

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Montjuich et sur l’oppression de la Finlande. L’affaire Dreyfus ne sera pas la dernière où elle prononcera. Car une véritable catholicité de la justice, une opinion de la terre habitée est dès à présent esquissée.

La conséquence la plus grave, à ce qu’il semble, de cette universelle extension fut, nous l’avons indiquée, l’épouvantable extension des responsabilités. Des antisémites d’un peu partout, des Autrichiens, des Hongrois, des Allemands, des Tchèques antisémites ont, comme le montrent certaines caricatures de leurs journaux illustrés, pris, quand rien ne les y forçait, leur part du crime commis par un État-Major qui leur était étranger. Et, dans la France même, quels ravages nouveaux d’immoralité !

Combien de catholiques se disant et se croyant libéraux, combien de catholiques se disant et se croyant ennemis des jésuites, héritiers fidèles de l’ancien esprit de l’Église de France, même héritiers de la raideur janséniste et de la franchise gallicane, ont-ils suivi pas à pas, servilement, les jésuites jusqu’en leurs machinations les plus infâmes ! Combien d’hommes, qui se disaient et se croyaient libres-penseurs, ont-ils prosterné la raison humaine, ont-ils couché leur intelligence devant la religion qui naissait, devant le dieu nouveau ! Combien d’hommes, qui se disaient et se croyaient républicains, voltairiens, partisans du progrès, ont-ils emboîté le pas aux monarchistes, aux cagots, aux tartuffes, aux réactionnaires ! Combien, hélas ! d’hommes qui se disaient et se croyaient socialistes ont-ils tenu jalousement à prendre leur part du plus grand crime bourgeois ! Combien de révolutionnaires sont devenus conservateurs !

C’est ici la malchance inouïe des autoritaires, des chefs, de Vaillant, de Lafargue et de Guesde. C’est ici la débâcle de leurs prétextes. Les chefs n’ont pas voulu que le socialisme français défendît les droits de l’homme et du citoyen, parce que l’homme était un bourgeois, défendu par des bourgeois, parce que le citoyen était un citoyen bourgeois, un citoyen de la bourgeoisie française, parce que les droits de l’homme et du citoyen ont été proclamés par une révolution bourgeoise : il ne fallait pas se mêler aux bourgeois courageux, aux bourgeois justes, aux bourgeois humains ; les chefs n’ont pas voulu que le socialisme français défendît les droits de la personne humaine, parce que la personne était celle d’un bourgeois ; ils n’ont pas voulu que leur socialisme défendît même les droits de la raison humaine, parce que des bourgeois les défendaient. Aussi qu’est-il arrivé ? Ce qui devait arriver. Pour n’avoir pas défendu les droits de l’homme, les chefs, qui se croyaient socialistes, ont défendu les bourgeois qui violaient ces droits ; pour n’avoir pas défendu les droits du citoyen bourgeois, ils ont défendu les bourgeois qui violaient ces droits ; pour n’avoir pas voulu participer à la défense de la raison, de la justice, prétendues bourgeoises, ils ont pris leur