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Page:La Revue blanche, t20, 1899.djvu/327

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touches, de longues minutes s’écoulèrent durant lesquelles d’affreux râles s’entendirent.

Lors de la colonne Sikasso, il supprimait des existences avec moins de cérémonie encore. Les porteurs évadés et repris étaient aussitôt, par ses ordres, entraînés dans la brousse et mis à mort. J’en ai vu un qui, à peine adulte et absolument malingre, se plaignait de ce que ses jambes n’avaient pu le porter plus loin avec les trente kilos dont il était écrasé (c’était d’ailleurs le cas de presque tous ces malheureux arrachés à leurs villages). Il ne vint pas à la pensée du bourreau à qui il fallait du sang, de surseoir à l’exécution et de faire examiner sa victime par le médecin… Voici les détails d’une tuerie faite par ses ordres et qu’il aimait à conter. Je tiens le récit de lui-même.

Au cours de son commandement du cercle de Siguiri, il était parvenu à s’emparer d’un chef noir qui nous était hostile. Il le condamna à mort, comme bien l’on pense, et décida, pour économiser les cartouches, qu’il serait pendu. Au moment de l’exécution, le condamné fut hissé dans les airs, mais, la corde ne glissant pas, il se mit à danser dans l’espace la gigue la plus étrange sans que la mort put s’ensuivre. Le capitaine ordonna alors à un de ses tirailleurs de tirer au vol ce gibier humain. Fut-ce hasard ou adresse du tireur, la balle, au lieu d’atteindre le but, rompit la corde et le pendu vint s’abattre sur le sol, où il se brisa une jambe. Là, pour en finir, l’officier français, le représentant de notre douce civilisation, fit tuer le vaincu comme on achève un chien.

Je ne veux pas généraliser et assimiler tous les militaires du Soudan aux quelques grands fauves que des affaires trop nombreuses ont fait connaître, mais je maintiens que, si des faits semblables à ceux qui viennent de nous émouvoir si profondément ont pu se produire, cela est dû à l’esprit de violence, de haine et d’indiscipline qui règne dans le corps tout entier. L’autorité supérieure paraît enfin décidée à mettre un terme à des mœurs si odieuses qu’elles étonnent les barbares eux-mêmes. Espérons qu’elle déploiera à cette tâche, devenue difficile, l’énergie nécessaire. Il faut une surveillance plus active, une distribution plus judicieuse des récompenses, c’est-à-dire ne pas réserver les honneurs à ceux qui auront massacré le plus de gens, mais à ceux qui, sans effusion de sang, auront administré ou étendu le domaine de la France. Il faut enfin à Saint-Louis un gouverneur général qui ne soit pas un soliveau, qui ait sur ses subordonnés du Soudan assez d’autorité pour ne pas être réduit, ainsi que cela s’est vu, à se renseigner habilement, sur les choses de cette colonie, auprès des officiers de passage au chef-lieu du Sénégal.

L’administration des territoires compris entre Kayes, Tombouctou, Kong et Say est, comme on peut bien le penser, réduite à sa plus