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Page:La Revue blanche, t20, 1899.djvu/426

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un des meilleurs élèves, travailla très utilement aux laboratoires, au vrai travail de science, avec des maîtres savants éminents, par exemple avec M. Nocard. Il étudia la microbiologie, qui est si passionnante. Je le croyais devenu un savant. Il n’était que boursier militaire. Il quitta l’école. Un an à Saumur. Aide-vétérinaire aux dragons à Lunéville. Je continuais à le voir quand il passait à Paris, essayant de l’arracher à cette vie militaire à peu près inutile. Mais on ne saura jamais assez combien cette vie est amortissante, même pour les meilleurs. Mon ami resta vétérinaire. Il remarqua bientôt, ce qui est vrai, que les fils de famille, réfugiés dans la cavalerie, sont d’un commerce moins arrogant que la plupart des officiers pauvres. Au commencement de l’affaire Dreyfus un ancien petit officier d’État-Major, débarqué récemment dans la garnison de Lunéville, voulut bien lui donner l’assurance personnelle que Dreyfus était coupable, que tout le monde à l’État-Major le savait, que tout le reste n’était que machinations. Cela nous acheva. Mon ami écouta mes démonstrations avec la condescendance affectueuse qu’un homme du métier, bien informé, doit cependant à un ami d’enfance. Depuis que le crime est devenu patent, je ne l’ai plus revu. Son père continue à vivre la vie au rythme lent.

Au moment où je m’étonnais que mon ancien camarade l’antidreyfusard historien eût si bien réussi en histoire, qu’il eût été assez bien classé au récent concours d’agrégation, celui qui donne les sujets aux mêmes concours et de qui dépendent pour une part les places des candidats et leur admission, M. Lavisse, enfin, nous donna une nouvelle raison de nous étonner.

M. Lavisse avait rendu quelques services à la vérité en un temps où les moindres services avaient une grande valeur. L’Appel à l’Union, dont il fut l’un des principaux artisans, contribua beaucoup à détacher de la Ligue de la Patrie française tous les braves gens, tous les vieux universitaires qui s’étaient bonnement imaginé que la Ligue serait fidèle à son programme d’union. M. Lavisse conciliait alors. À présent il réconcilie. La conciliation paraissait assez naturelle, et utile, empêchant la fausse conciliation. La réconciliation est inattendue, inutile, impossible.

J’ai connu pour la première fois le nom de M. Lavisse à l’école primaire. On nous avait donné des livres nouveaux, très supérieurs aux anciens, si nouveaux que c’était toute une révolution. Il y aura bientôt vingt ans de cela. Parmi ces livres un des plus intéressants était la petite Histoire de France de M. Lavisse, où il y avait des images, des récits, et un texte. Je pris là de la France et de son histoire une idée commode que tout mon travail a consisté depuis à essayer de remplacer par l’incommode image exacte. Plus tard, ayant à préparer un concours où il y avait de l’histoire, je me mis à lire, un peu par devoir, la Vue générale de l’Histoire politique de l’Europe.