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Page:La Revue blanche, t20, 1899.djvu/427

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Cette lecture nous transporta, mes camarades et moi. Nous acceptâmes sans hésitation les déclarations de l’Avant-Propos :

« Les historiens qui osent encore traiter de pareils sujets, peuvent dire, pour leur défense, que, si les détails sont douteux souvent, les grands faits ne le sont point. Nous ne savons pas,avec une pleine sécurité, les mobiles intimes de la révolte de Luther, et il y a des obscurités dans l’histoire de la bataille de Waterloo, mais il est certain que Luther s’est révolté, certain que la bataille de Waterloo a été perdue par Napoléon. Or ces deux faits ont eu des conséquences très claires et très graves.

« Les événements décisifs, ceux qu’on peut appeler d’histoire universelle, sont rares. Il n’est impossible ni de les discerner, ni de les connaître, ni d’en voir les suites. C’est pourquoi, si paradoxale que cette opinion puisse paraître, le général, en histoire, est plus certain que le particulier. Il est plus facile de ne pas se tromper sur tout un pays que sur un personnage. La vue,qui se perd dans les broussailles, embrasse les ensembles : les horizons les plus vastes sont les plus nets. »

Nous accueillîmes ces déclarations, et le livre nous transporta. Cet embrassement universel de l’histoire de l’Europe, en deux cent quarante pages, le défilé si bien ordonné des mondes et des hommes, la Grèce et la domination romaine, le Moyen-Âge et les Temps Modernes, les puissances, les peuples et les nations, la mainmise facile sur tous les événements, la maîtrise de l’histoire, la sûre prévision des événements futurs qui étaient devenus, depuis le temps, des événements passés, nous semblèrent un chef-d’œuvre de la science et de la philosophie. Nous nous sommes aperçus, depuis, que les événements, même généraux, étaient beaucoup plus rebelles au véritable historien.

Nous avons retrouvé ces caractères dans l’article que M. Lavisse a récemment publié. « La Réconciliation nationale » que nous lisons dans la Revue de Paris est une Vue générale de l’Histoire politique de l’Affaire Dreyfus. L’auteur classe les partis politiques, ordonne le jeu des partis politiques aussi commodément, aussi bellement, aussi peu exactement qu’il avait ordonné la longue et pénible action des forces et des partis devenus historiques. L’auteur émet des affirmations brèves, originales ou communes, qu’il ne faut pas laisser passer.

M. Lavisse écrit :

« ..... de part et d’autre [dans l’Église et dans l’Armée], l’idéal de profession est très élevé. Enfin les professions impliquant le péril de mort sont religieuses : si la religion se retirait de la terre, ses derniers refuges seraient des âmes de soldats et de marins. »

Il y aurait beaucoup à dire sur la religion des marins. Mais si le péril de mort impliquait une idée religieuse ou des sentiments religieux, les mécaniciens des chemins de fer, — je ne parle pas des voyageurs, — seraient des hommes religieux. M. Lavisse n’ignore pas qu’ils sont en grande majorité libres-penseurs. Tandis que le métier d’officier est devenu un métier de tout repos.