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Page:La Revue blanche, t20, 1899.djvu/432

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quelque juste cause nous commandera la guerre, — car, malgré les efforts des philosophes, malgré la répugnance des intérêts, malgré l’appréhension de l’inconnu, cette heure viendra. » La Vue générale concluait aussi plutôt à la prévision de la guerre. Cela plaisait à la jeunesse de ce temps-là. C’est la seule prévision du livre qui ne se soit pas réalisée encore.

La question de méthode soulevée ainsi par M. Lavisse est d’une résolution beaucoup trop difficile pour que nous osions donner une réponse brève. À la question de fait nous avons répondu d’avance. Nous avons parcouru la longue série des ravages causés ou dénotés par l’Affaire Dreyfus. Loin que nous ayons trouvé des adversaires qui fussent à notre niveau, nous n’avons jamais eu en notre présence des adversaires. Nous n’avons jamais vu et connu que des ravages d’immoralité, des maladies, des perversions, des contaminations. Il ne s’agit donc pas d’une réconciliation qui se dirait nationale et qui serait nationaliste. Il ne peut s’agir que de guérison, de médecine et d’hygiène, de redressement, de santé, de propreté, de salubrité. Il n’y a pas plus lieu de nous réconcilier, les antisémites et nous, qu’il n’y avait lieu de réconcilier à Lisbonne le docteur Calmette et le microbe de la peste. M. Duclaux faisait pour la santé sociale, dans le grand laboratoire public, exactement le même métier qu’il faisait depuis si longtemps pour la santé corporelle dans son laboratoire de l’Institut Pasteur.

Quand nous disons « le sabre et le goupillon », cela ne signifie pas que nous ayons des adversaires qui ne soient pas dangereux : cela signifie que les soldats et les prêtres ne sont pas respectables.

« Les mots dreyfusards et antidreyfusards sont plus diaboliques encore », écrit M. Lavisse, (que les mots de huguenots et de papistes) : « ôtez-les. » Non. Nous avons reçu le nom de dreyfusards comme une injure au commencement de l’épidémie, parce que seuls nous n’étions pas malades. On nous a jeté ce nom comme la foule d’Oporto jetait des pierres aux médecins. Nous garderons ce nom, si cela est nécessaire, aussi longtemps que nous travaillerons à la réparation.

Cette réparation a commencé pour la première victime. La grâce présidentielle a commencé à réparer pour Alfred Dreyfus les condamnations de Paris et de Rennes. Il convenait qu’il en fût ainsi. Refuser de recevoir une grâce quand on a droit à la justice est de bonne littérature sans doute, et ferait dans Hugo une heureuse antithèse. Hugo n’a jamais été aux mains des gendarmes. Refuser une grâce ainsi donnée eût été, en réalité, refuser la justice offerte, refuser à la France les moyens de commencer la réparation. Justement parce que la cause, individuelle jadis, était devenue générale, justement parce que Dreyfus n’était plus Dreyfus, mais un dreyfusard comme nous, il ne convenait pas qu’il eût à supporter des souffrances que ni vous ni moi n’avons jamais supportées. Il ne doit y avoir aucun