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Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/103

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se disaient l’un à l’autre : « Dame ! nous l’aimons autant que si c’était le nôtre. »

Il y eut d’abord un automne vague et mouillé dont la pluie fine pénétrait les sentiments des hommes. Le Vieux s’asseyait dans la maison, auprès de la fenêtre et, regardant la rue, voyait la pluie et la sentait tomber toujours et de partout, comme une idée qu’on veut vous faire entrer dans la tête. Il avait d’abord pensé à quelque chose pour tuer le temps. Il prenait sa brouette et sa pelle et roulait sur les routes. Il était très bien placé, sa fenêtre donnant directement sur la rue : « Voici les bœufs du domaine de la Faix qui montent et il va falloir que j’aille à leur suite parce qu’un autre irait avant moi. » Parfois un âne ou un cheval déposait son crottin presqu’en face de la porte : alors le Vieux se levait, saisissait un panier destiné à cet usage, puis la pelle, s’en allait faire la cueillette et donnait son coup d’œil à la rue pour voir s’il pouvait faire d’autres cueillettes encore. Quand la pluie tombait, il attendait la fin d’une ondée, sortait à sa porte, examinait le temps et partait entre deux nuages, comme le serviteur du crottin, comme l’esclave du fumier. Il versait tout cela dans la cour, sur le tas, y jetait encore de la paille et toutes sortes de débris, sentait la pelote grossir et plus tard, lorsque le moment était venu, ne songeait plus qu’à la vendre.

Puis, ce fut l’hiver qui déposait de la gelée blanche sur l’herbe, dans la campagne et, dans la petite ville, sur la mousse des toits. Les jours diminuaient et semblaient se resserrer sous leur capuchon comme des vieux qui ont froid. Le temps tombait du ciel bas et s’approchait de vous comme une personne que l’on connaît et qui vous touche avec une main osseuse. Il y avait une réserve de bois dans le grenier, le poêle était installé au milieu de la chambre, un petit poêle de fonte, bas, avec une tablette où l’on s’appuyait les pieds, avec deux couvercles que l’on pouvait enlever pour mettre la marmite. Le Vieux s’assit pour l’hiver en face du poêle. Il était frileux, ayant vécu auprès d’une forge et tout son geste fut de se lever parfois pour entretenir le feu. Il le faisait sans économie, comme un exercice, comme la seule distraction qui lui fût restée.