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Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/104

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Tout l’hiver, il fut assis. La chambre était trop grande et l’humidité plaquait le sol, au pied des murs. Il s’approchait, jusqu’à avoir le poêle entre les jambes et, accoudé sur ses genoux, il se tortillait le cou pour regarder autour de lui, dans une sorte d’inquiétude. Mais tout de suite il trouva du plaisir au repos. Ce sont des métiers de forgeron où le fer frappe le fer, où les poings se durcissent comme des marteaux et se lèvent comme au combat pour abattre on ne sait quoi, quelque chose comme le pain quotidien qui vous résiste et que l’on conquiert. Ce sont des métiers de maréchal-ferrant où les chevaux luttent en ennemis et contre lesquels on s’arcboute avec toute la force de son dos. Il restait là, avec ses bras, avec ses jambes, avec ses reins, dont les muscles s’affaissaient, dans une sorte d’oubli, se souvenant parfois du travail ainsi que l’on se souvient de la peine, pour mieux savourer le repos. Lorsqu’il se penchait en avant, il s’abandonnait, et le bien-être lui donnait des frissons dans le dos et des envies de gémir un peu : Ah ! là !

Le matin, il ne pouvait pas rester au lit, étant un de ces vieux secs qui ne dorment guère et qui vivent longtemps. Alors il se mettait en position pour toute la journée, ne se dérangeait même pas à onze heures lorsque la Vieille rentrait et préparait le repas, puis s’asseyait tout juste à table pour manger et replaçait sa chaise auprès du poêle comme si cela même eût été sa fonction. En somme la journée lui semblait courte parce qu’il n’avait rien à faire, il la sentait glisser lentement et s’abandonnait pour qu’elle le portât jusqu’au soir. Car le travail est une malédiction, et c’est en le chassant du Bonheur que Dieu dit à l’homme : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ! » Il devint trop paresseux aussi. Par exemple, la Vieille allait souvent dans la forêt ramasser des branches mortes. Evidemment c’est une besogne de femme, mais les gueux n’ont pas besoin d’être fiers. Puisqu’il y voyait assez pour marcher et pour aller au crottin, les fagots devaient être aussi son ouvrage ou tout au moins il pouvait prendre sa brouette et aller attendre sa femme à la sortie du bois.

C’est en ce temps-là que lui arriva son aventure avec la Blonde. Le Vieux avait des lapins : il y avait de petites