Aller au contenu

Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/111

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une guenille sale qu’on abandonne aux relavures. Dans beaucoup de maisons l’on n’avait pas creusé de fosses d’aisances et cela se composait d’une planche et d’un baquet. Lorsqu’il était plein, c’était un baquet à deux anses, que l’on sortait de la cour, avec lequel on traversait la maison, que l’on portait sur une brouette, que l’on roulait, et que l’on allait vider quelque part, en dehors de la ville, dans un jardin potager. C’était lourd, la femme ne pouvait pas prendre l’autre anse parce qu’elle se fût fait mal dans le ventre. On allait chercher un homme, et il n’y avait que le père Perdrix. D’ailleurs il était très fort et semblait porter les trois quarts du baquet. Ensuite on lui offrait un verre de vin. Il faisait des difficultés comme un pauvre qui a peur d’être pris pour un avale-tout-cru.

Il travailla, pourtant. Ils étaient plusieurs, des jeunes et des vieux, qui s’arrachaient cela comme des miettes, creusaient avec la pioche, raclaient avec la pelle et usaient leurs sabots toute la journée pour vingt-cinq sous. Ils faisaient des journées de prestations. Autrefois, quand le monde était moins bête, on s’entendait pour vivre, on gagnait trente sous, on accroissait son morceau de pain, on en avait plein les poings comme un enfant qui mord. Mais des gâte-métiers, avec l’imbécillité des gueux, s’étaient mis en avant des autres, avaient devancé les désirs et, pour vingt-cinq sous s’offrant, voulaient prendre toutes les journées, manger les compagnons. Ils n’en profitèrent même pas, tout le monde dut aller à leur suite, le salaire baissa, puisque mieux vaut peu que rien, et le métier de journalier fut un métier à vingt-cinq sous par jour.

Il descendait le matin, on l’entendait descendre. Avec ses gros sabots, les pierres de la rue résonnaient comme des murailles. D’ailleurs il s’entravait sans cesse et descendait à grands pas lents, sonore comme une boule creuse, comme un pauvre qui travaille avec fracas et semble ébranler les riches. Il allait jusqu’à quatre kilomètres, plus loin encore, jusqu’aux limites des communes, dans les chemins vicinaux où les journaliers piochent et pellent la terre jaune des champs à travers lesquels on trace les routes. Dans sa gibecière il y avait du fromage et du pain, des pommes, des noix, selon les saisons, et la misère des gueux qui pen-