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Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/168

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Il ne peut y avoir de liberté en face du cléricalisme : il réclame tout ou rien. Je me prononce énergiquement pour qu’on ne lui laisse rien.

4° Le mot liberté n’est qu’un mot relatif. Il n’y a pas liberté de refuser l’impôt, de se soustraire au service militaire, de faire des faux en écriture publique, etc. Pourquoi y aurait-il liberté de fausser l’âme de l’enfant, de la soustraire à la science et à la beauté moderne, de refuser l’éducation égale pour tous ? L’enseignement national de la jeunesse doit être obligataire, gratuit et laïque. On ne trouvera rien de plus juste ni de plus fécond que cette formule de la vraie liberté.

De M. Jacques-Emile Blanche :

J’ai été élevé au lycée Condorcet, entre la guerre et 1880. Je ne crois pas y avoir subi la moindre influence. Dans ce temps-là les professeurs, pour la plupart assez indifférents, peu occupés de questions morales ou politiques, ne faisaient même pas d’allusions à la Revanche — qui était l’idée fixe des Français. Ils ne cherchaient pas à nous diriger vers un autre but que le concours général ou le baccalauréat. J’en ai eu d’excellents et de mauvais. Certain professeur d’histoire, depuis député, tenta de nous enflammer pour les immortels principes de la Révolution : la classe se divisa, il y eut des bagarres dans la rue du Havre. — M. Victor Brochard, en philosophie, nous traita comme des hommes et fit beaucoup pour notre culture, en laissant à chacun de nous une entière indépendance.

Mais, en somme, pour les externes du moins, la direction intellectuelle était à peu près nulle.

Il paraît qu’aujourd’hui, c’est tout différent. Des cours tendancieux faits dans cet esprit sectaire et étroit de la jeune Université voudraient influencer les collégiens, avec autant de passion que les prêtres en ont montrée dans un sens opposé. Or, je connais telles familles catholiques, dont les fils vont tout de même au lycée, et des enfants, aussi, que leurs parents anticléricaux, confient aux religieux — à des jésuites même. D’ailleurs, il est rare que ces derniers n’abandonnent vite les idées de leurs maîtres, pendant que beaucoup d’élèves de l’Université sont exaspérés par le vague humanitarisme et le socialisme pédant des nouveaux normaliens. Il semble, en somme, que toute pression révolte les jeunes gens et que le meilleur serait de les instruire sans parti-pris. L’éducation, en dehors de la famille, n’a pas l’importance qu’on lui attribue. L’esprit se forme longtemps après l’école. On ne tarde pas, quand on l’a quittée, à prendre le contrepied de tout ce qu’on y a appris.

Les parents doivent être les seuls juges du mode d’enseignement qui convient à leurs enfants et il serait intolérable qu’on ne leur permit pas de les faire élever comme bon leur semble, par des prêtres ou des laïques, dans des institutions privées ou au lycée. — On ne conçoit pas bien comment des hommes qui ne parlent que de liberté et de justice, peuvent songer à restreindre la liberté de l’Enseignement.