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Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/450

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de loin, comme si elle allait tout vomir. Ensuite, le Vieux descendit pour annoncer à la femme de Roux, le boulanger, que la Vieille, ce matin-là, ne se sentait pas à son aise. L’autre répondit :

— Dame ! si ça dure, nous allons être obligés de prendre une autre femme de ménage.

Pendant ce temps, la Veille restait sur une chaise à se demander si elle pourrait balayer la maison. Jean se penchait avec ses bons yeux de petite fille, comme une fontaine qui se pencherait :

— Dis-moi où tu as mal, ma Vieille…

— Oh ! mon petit, je suis comme les vieux. J’ai mal partout.

Elle se contenta de faire le lit de Jean, puis balaya, et de temps à autre elle s’appuyait sur le manche à balai. Ce fut ainsi qu’elle arriva jusqu’à dix heures, après quoi elle se jeta sur son lit, toute habillée. D’ailleurs elle ne dormait pas, mais le repos semblait lui prendre les reins et les remettre en place.

À midi, tout de même, il fallut se mettre au repas. Elle se leva, pela des pommes de terre, les coupa, les fit frire. Comme les deux hommes mangeaient, elle posa son coude sur la table, le menton sur son poing et regarda leur assiette en pensant, ainsi que les cuisinières, au bonheur de voir manger. Le Vieux avait envie de se fâcher :

— Mange donc ! C’est quand on est malade qu’on a besoin de se soutenir. Tu t’écoutes trop.

Mais l’après-midi, elle fut bien heureuse. Elle s’étendit sur le dos, croisa ses mains sur son ventre et, les rideaux étant tirés, isolée du monde, elle formait avec son lit un seul corps. Pas un bruit ne passa de la rue, le Vieux avait poussé les contrevents et la chambre dans l’ombre semblait un beau pays où l’on dort.

La journée du lendemain se passa de la même façon. Pourtant le Vieux sut vaincre cette habitude qu’il avait d’attendre les bouchées toutes mâchées. Il secoua cette couche épaisse. La paresse s’était accumulée sur lui comme du lard.

— Laisse donc. Je ferai bien la soupe moi-même.