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Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/526

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nées durant, on lui adresse un long et monotone discours. Le mot a pour lui cet effet de décolorer la vie.

En classe l’enfant s’habitue à tricher.

Je crois que la plupart de ceux qui enseignent ont souvent le désir sincère d’instruire d’une manière bienfaisante les êtres jeunes qu’on leur confie ; mais ce dont je suis sûr, c’est que tous[1], durant leurs leçons, consacrent une partie notable de leur temps à autre chose. Ils doivent interroger leurs élèves à seule fin de savoir si ceux-ci « méritent la note huit ou la note neuf, la note six ou la note cinq et demi.

On pourrait se demander ici si ces chiffres ont quelque signification. On découvrirait bientôt que pour des raisons nombreuses ils sont le plus souvent indépendants de ce qui dans l’esprit de l’écolier est profond et durable. Et l’on sourirait d’apprendre que les « moyennes » respectives de deux élèves qui n’ont pas une qualité commune peuvent fort bien ne différer qu’à partir de la seconde décimale. Je reconnais que le système que l’on adopte pour apprécier le zèle des écoliers est sans importance. Toute la question est de savoir s’il est vraiment utile de classer ceux-ci en bons et en mauvais élèves. Ces derniers sont toujours les plus nombreux et ils constitueront la partie la plus considérable de la nation. Il faudrait donc que l’École parvînt à les « préparer à la vie » aussi bien que leurs camarades plus studieux. La société a d’ailleurs des jugements qui ne concordent pas avec ceux des pédagogues. Mais ce n’est pas le moment d’insister.

Quoi qu’il en soit, l’écolier, cependant qu’on l’interroge, essaie de donner le change sur son ignorance réelle. Les cas de tricherie proprement dite sont très fréquents, et puis il y a tant de façons honnêtes de tricher ! Cet élève était inquiet ce matin en se rendant en classe. Certaines phrases qu’il avait lues, sans doute un peu distraitement, et sur lesquelles il aurait peut-être la malchance d’être questionné, n’avaient pas pour lui un sens très clair ; et il s’exposait à affirmer le contraire de ce qu’il devait dire. Mais il ne songeait pas que les maîtres, dupes ou non, doivent souvent s’en tenir à des apparences. Au moment critique il articula sans embarras visible des mots qui avaient l’air d’exprimer des idées bien comprises ; et la bonne note qu’il

  1. On me dira peut-être que dans certaines écoles le professeur n’interrompt jamais son cours pour des interrogations ; et que celles-ci se font durant certaines heures qui ne sont consacrées qu’à cela. Mais cette objection ne modifie pas ce que je dis de la tricherie.