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Page:La Revue blanche, t3, 1892.djvu/18

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même pour tous les sentiments un peu généreux, et qui supposent l’adhésion de beaucoup de volontés particulières. (J’eus, en la prononçant, vraiment honte de cette phrase compliquée. Charles Martin a un langage si précis et si clair). Dans les sociétés modernes, tout se fragmente et s’éparpille. Il n’y a plus de principes d’unité.

— Vous vous trompez, répliqua M. Martin. Avec le patriotisme, on pourrait encore soulever de grands mouvements d’opinion. Le phénomène que je vous signale est sans analogue, et assurément il a ses causes particulières que, d’ailleurs, il serait superflu de rechercher. La nation se désintéresse de plus en plus de la politique…

— Quel titre ingénieux, mon ami, lui dis-je en l’interrompant : Les progrès de l’apolitique.

Mais M. Martin me répliqua sèchement : — « Je n’aime pas les néologismes ». C’est le privilège des esprits clairs d’éveiller par une simple boutade une longue suite de méditations. Assurément Charles n’eût pas approuvé qu’à une hypothèse peut-être téméraire on apportât un développement systématique. Cependant, chaque fois que m’est revenue à l’esprit cette brève conversation, j’ai pensé qu’en effet c’était là un phénomène, je ne dirai point inattendu, mais en apparence presque illogique et qui mérite de retenir la réflexion. On a perdu en France, non pas tant le goût de la politique que la faculté de se passionner pour des questions politiques. C’est même un travail d’esprit peu compliqué et que je recommande volontiers aux esprits simples qui veulent trouver dans les faits la confirmation de toute idée générale, c’est, dis-je, un sport aisé que d’en suivre, à travers l’histoire, la dégradation. Les passions politiques ont été, à des époques encore récentes, assez puissantes et assez générales pour conduire la nation tout entière à une action cohérente et commune. Mais depuis un siècle, nous assistons à l’anéantissement progressif et régulier de ce