Page:La Revue blanche, t3, 1892.djvu/19

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qui a été, à de certains jours, l’âme de la France, de cette réunion d’idées et de volontés collectives qui firent, en 1792 ou en 1816, l’unité de la nation. Tout Paris se leva au 10 Août, toute la bourgeoisie aux journées de Juillet. Février ne fut plus qu’une manifestation d’avocats sans cause ; Juin qu’une mascarade un peu bruyante et très sanglante d’ouvriers sans pain. L’accord entre les classes était déjà rompu ; peu à peu l’unité des classes se brise. En 1851, le coup d’État, contre l’opinion admise, fut si maladroitement engagé, qu’il laissait beau jeu à un soulèvement national. Mais il n’y eut jamais que Victor Hugo pour se donner la consolante illusion d’une résistance efficace. Il y eut beaucoup de décrets rendus, de proclamations affichées, de copie perdue ; ce fut tout. Et ni le 4 Septembre, qui fut une promenade aux drapeaux du Palais Bourbon à l’Hôtel de Ville, ni le 18 mars qui fut une retraite aux flambeaux de Montmartre aux quartiers du centre, ni l’injustifiable répression versaillaise n’ont soulevé depuis en France — ni même dans le plus sensitif peuple de Paris — cet éveil soudain, ce grand frisson répercuté, cette instinctive communion d’action et de rêve qui apportent comme une justification esthétique à ces revêches notions abstraites dont on construit les programmes électoraux.

Il y a quelques années, l’aventure s’est offerte à la France d’une rapide et entière métamorphose politique. Il n’y a pas de paradoxe à soutenir que, malgré la violence de la lutte engagée, la masse l’a envisagée sans passion. Je n’entends pas seulement parler de cette majorité de fonctionnaires, de petits commerçants et de maraîchers chez qui l’impossibilité de se former une opinion raisonnée, entraîne ou le pur fanatisme ou la plus totale indifférence. Mais il est permis de penser que beaucoup d’esprits cultivés et raffinés n’ont pas trouvé à ce spectacle d’autre intérêt que le plaisir d’en suivre les phases et d’en anticiper l’issue. Beaucoup aussi, peut-on dire, ont fait leur choix. Mais ils l’ont