Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/190

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lantes, et telle était l’infinie détresse où je me trouvais irrémédiablement que j’aurais voulu pleurer toujours jusqu’à en mourir. J’avais en haine la pauvre religieuse, très douce pourtant, qui, de mon mouchoir, étanchait mes larmes sur mes joues. Oui, je me le rappelle à présent, j’ai souhaité mourir : je voyais très nettement le blanc cortège qui avait emmené ma petite sœur morte et j’aurais voulu être comme elle mystérieusement transportée au ciel. Je n’avais pas sept ans. Il semble qu’une enfant ne puisse pas éprouver une impression plus forte et qu’une telle émotion doive laisser à tout jamais une trace dans son esprit. Eh ! bien, non, les enfants sont si légers et j’étais déjà sans doute d’une particulière légèreté !… Au bout de peu de jours, tout était, oublié : ce n’est qu’assez longtemps après, avec quelque effort de réflexion que j’ai pu reconstituer ce souvenir. Les bonnes Visitendines ont été très affectueuses et très douces pour moi ; mes petites compagnes ne tardèrent pas à m’adopter, à m’admettre à leurs jeux. J’avais beaucoup d’amour-propre et je travaillais avec assiduité, pour être toujours la première et mériter aux fins de mois « le grand témoignage », Tout cela suffisait à m’occuper, à me distraire. Que veux-tu que je te dise ? j’oubliai tout à fait ma mère, mon père, mes frères et sœurs et ma maison natale, tout à fait ; je suis sûre que je ne pensais jamais à eux. Je ne venais pas en vacances ici : les communications étaient trop difficiles et trop chères. Trois ou quatre fois, pendant les sept années que j’ai passées au couvent, ma mère est venue à Paris. Je la voyais d’abord au parloir à travers Une double rangée de grilles, car nous étions cloîtrées comme les bonnes sœurs, mais on me laissait tout de même sortir avec elle un ou deux après-midi. Je l’accompagnais dans ses courses. La pauvre femme m’embrassait, me dévorait de baisers et, quand il fallait partir et nous séparer, elle sanglotait. Moi, je n’avais pas de chagrin. Je crois bien que je ne la reconnaissais pas, ou plutôt, si, je la reconnaissais, mais elle m’était devenue étrangère. Ma vie était désormais détachée de la sienne. Quand elle me demandait, en s’en allant : « Qu’est-ce que je dirai de ta part à ton petit père, à ta petite sœur Jeannette, à Suzanne, à tes frères ? » cela ne me représentait rien de très précis et je répondais presque machinalement : « Bien des choses ! »

Un jour, la supérieure m’apprit avec beaucoup de ménagements qu’un de mes petits frères venait de mourir. Cela m’a fait de la peine le premier jour parce que, à l’air de tristesse de la bonne sœur, aux encouragements qu’elle me donnait, j’ai compris vaguement que j’étais malheureuse ; cela me causait quelque