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Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/202

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vitesse comparable à celle de la lumière. Le docteur Trublet prétend qu’un tel être « se ferait de la succession des phénomènes une idée très différente de celle que nous en avons. » En réalité, un tel être, du moins s’il n’avait pas le moyen de percevoir les vibrations autres que les vibrations lumineuses, ne se ferait des phénomènes aucune idée du tout. Quand il marcherait vers un point lumineux, il ne le verrait plus, par suite de l’exagération du phénomène de Doppler ; quand il s’en éloignerait il ne le verrait pas davantage, par suite de l’exagération du même phénomène en sens contraire [1].

Il va plus loin, le bon docteur Socrate ! Il nous laisse entendre que si cet individu se déplaçait plus vite que la lumière, il la verrait avant qu’elle fût produite ; il entrerait alors dans la catégorie de ceux qui « perçoivent les phénomènes dans un ordre rétrograde et les voient se dérouler de notre futur à notre passé ».

Je me rappelle qu’étant enfant, j’eus un jour à traiter le problème suivant : Un train part de Brest pour Paris à 6 heures du soir avec une vitesse de 20 km. à l’heure ; un autre train est parti à 6 heures du matin de Paris pour Brest avec une vitesse de 40 kilomètres à l’heure, et la distance de Paris à Brest est de 600 km : où se rencontreront les deux trains ? Ayant mal pris l’énoncé du problème, j’attribuai au train partant de Paris une vitesse de 400 kilomètres au lieu de 40 et j’en conclus, par l’application de ma formule algébrique, que la rencontre aurait lieu dans l’Océan

  1. Si, nous baignant au bord de la mer, nous attendons, sans bouger, les vagues qui viennent vers nous, nous en recevons, par exemple, six à la minute ; si nous marchons vers elles avec une vitesse égale à la leur, nous en recevons douze dans le même temps.

    De même quand une locomotive vient vers nous en sifflant, si sa vitesse est considérable, non négligeable par rapport à celle du son, nous recevons à la seconde bien plus de vibrations sonores que nous n’en aurions reçu de la locomotive au repos dans le même temps ; le son nous paraît donc plus aigu quand la locomotive s’approche, plus grave au contraire quand elle s’éloigne.

    Pour la lumière, les vibrations sont beaucoup plus rapides et se transmettent bien plus vite ; cependant Doppler a remarqué que quand certaines étoiles sont dans des conditions telles qu’elles se rapprochent de nous ou s’éloignent de nous avec une vitesse comparable à celle de la lumière, leur couleur change ; c’est l’équivalent de la hauteur du son pour le sifflet de la locomotive.

    Supposons-nous maintenant capables de nous mouvoir avec la vitesse de la lumière ; si nous marchons vers un point lumineux, notre œil au lieu de recevoir 600 trillions de vibrations à la seconde, en recevra 1 200 trillions, ce qui est en dehors du spectre visible ; il ne verra donc rien. Au contraire, si nous nous éloignons de ce point, les vibrations ne nous atteindront plus et nous ne verrons rien non plus. Notre vision des objets dépendra donc du sens de notre promenade ; nous serons aussi mal renseignés sur les faits extérieurs que pourrait l’être un homme dont les sens ne percevraient pas de mouvements ondulatoires plus rapides que les vagues de la mer ! Il ne faut pas oublier d’ailleurs que si les conditions de vie étaient, dans le monde, différentes de ce qu’elles sont, les hommes, résultat de l’évolution sous l’influence des phénomènes naturels, seraient, eux aussi, différents.