Aller au contenu

Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/201

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

À propos de ce synchronisme, le docteur Trublet fait une remarque intéressante :

Nous-mêmes, par une nuit claire, le regard sur Véga de la Lyre, qui palpite à la cime d’un peuplier, nous voyons à la fois ce qui fut et ce qui est… L’astre qui, de loin, nous montre son petit visage de feu, non tel qu’il est aujourd’hui, mais tel qu’il était lors de notre jeunesse, peut-être même avant notre naissance, et, le peuplier dont les jeunes feuilles tremblent dans l’air frais du soir, se rejoignent en nous dans un même moment du temps et nous sont présents l’un et l’autre à la fois. Nous disons d’une chose qu’elle est dans le présent quand nous la percevons précisément.

Voilà une remarque que n’eût pas pu faire un philosophe à une époque où l’on croyait aux actions à distance et où l’on ne pensait pas à la nécessité du transport de quelque chose de Sirius à nous pour que nous vissions Sirius. Nous savons aujourd’hui que ce transport est nécessaire et qu’il n’est pas extemporané. L’espace à travers lequel nous nous mouvons est sillonné en tous sens de mouvements ondulatoires qui se transmettent avec des vitesses très grandes ; c’est la rencontre de notre œil et de ces vibrations qui fait que nous voyons les objets ; mais si le synchronisme existe entre la présence de notre œil en un point et la vibration qui s’exécute en ce point, la vision qu’il nous donne d’un objet éloigné nous représente forcément cet objet tel qu’il était quelque temps auparavant ; quoique rapide, la transmission de la lumière n’est pas immédiate. Le son est beaucoup plus lent et nous entendons le tonnerre longtemps après que nous avons vu l’éclair briller. La connaissance que nous avons, à un moment donné, du monde dont nous sommes le centre se compose donc d’un ensemble de renseignements qui sont tous en retard, mais d’un retard variable avec la distance des objets. Pratiquement, pour les objets terrestres, pour l’observation d’un paysage par exemple, la vitesse de la lumière peut être considérée comme infinie ; si ce paysage très vaste a huit lieues d’étendue, le synchronisme s’établit entre lui et notre perception à moins d’un dix millième de seconde près, et, pendant ce temps très court, nous n’avons pas pu changer suffisamment pour nous en apercevoir. C’est pour cela que l’œil nous renseigne si bien sur le monde terrestre ; si la lumière n’allait pas plus vite que le son, un chasseur ne pourrait pas tirer une perdrix au vol.

Pratiquement donc, pour la vie terrestre, la vitesse de la lumière est suffisante parce qu’elle est infiniment rapide par rapport à nos déplacement et à nos changements. Il n’en serait plus de même pour un être qui se mouvrait lui-même avec une