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Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/429

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il souille de ses excréments le liquide dans lequel il se trouve, de sorte qu’au bout de quelque temps ce liquide ne contient plus d’aliments (pour la levure de bière, il s’entend,) et n’est plus qu’une accumulation de produits de déchet parmi lesquels l’alcool, l’acide carbonique ; etc…

Que nous, hommes, nous ayons un certain plaisir à absorber ce liquide souillé, cela n’entraîne pas que la levure de bière ait travaillé pour nous ; elle a travaillé pour elle ; l’égoïsme est la loi essentielle de l’activité vitale, et c’est parce que les espèces sont différentes, parce que les besoins de chaque espèce sont différents, que les substances de déchet résultant de l’activité de certains êtres sont utilisées par d’autres.

Prenons en effet cette bière, accumulation des excréments de la levure, et semons-y une cellule d’une autre espèce, du mycoderme du vinaigre par exemple. La bière, excrément de la levure, sera l’aliment du mycoderme ; le mycoderme s’y multipliera comme la levure se multipliait dans le moût et, en même temps qu’il s’y multipliera, il y accumulera ses excréments personnels, l’acide acétique par exemple ; nous dirons que la bière est devenue aigre.

Ceci nous prouve déjà que le mot aliment ne saurait être pris dans un sens absolu ; telle substance, qui est un excrément inutilisable pour une espèce vivante est un aliment pour une autre espèce ; on ne doit donc pas dire qu’une substance est un aliment, mais bien qu’elle est un aliment pour une espèce donnée. Et cette seule considération suffît à prouver qu’il est illogique de mesurer la valeur alimentaire d’une substance à la quantité de chaleur qu’elle peut donner en brûlant.

Non seulement la bière, chargée des excréments de la levure, n’est plus un aliment pour cette levure, mais encore, elle jouit, par rapport à la levure, d’une faculté inhibitrice spéciale. Même s’il reste encore dans la bière une certaine quantité de moût non transformé, du moment que les excréments (l’alcool par exemple) ont atteint un certain degré de concentration, la levure ne peut plus se multiplier et reste inerte au fond du vase ; si l’on ajoute au liquide du glucose ou telle autre substance dont se nourrirait normalement la levure de bière, l’alcool empêche la nutrition d’avoir lieu. Et ce qui prouve que c’est bien l’alcool qui est responsable de l’arrêt de la nutrition, c’est que cette levure inerte transportée dans un moût neuf recommence à se multiplier.

Ce résultat particulier n’est pas spécial à l’alcool ; d’une manière générale, les substances excrémentitielles d’une espèce donnée arrêtent la nutrition de cette espèce quand elles ont atteint