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Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/504

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la revue blanche

celui-ci et c’est par son épée que tombèrent ceux qui se servaient de l’épée et que se décolla l’oreille du serviteur du grand prêtre. Et puis, ressuscité par le breuvage vert de l’éponge, il a sauté à bas de son gibet sur ses pieds de bouc, avec son ventre de faune où la circoncision avait repoussé comme repousse une barbe, une griffe, ou une corne de sabot. Et le vin intarissable coulait de son côté percé par la lance, cependant que l’Esprit était rendu à son Père.

Mais il n’y a point de Père, sinon dans l’Esprit ; le Père est soluble dans l’Esprit : l’Esprit est l’arche du Père sur les eaux. Le pharmacien anglais Hameau, ou Homais le Danois — un empirique — n’a pas analysé le précipité de sa petite drogue dont la formule est Perchance to dream, comme on dit permanganate et comme nous disons, Père Éternel. Nous, prêtres, avons catalogué en trois classes les vagabondages de la fantaisie des morts. Nous disciplinons leurs rêves. La décomposition de leur cerveau organise l’Éternité. On leur donne trop de pain pour le viatique éternel, cet aliment lourd les leste comme un défunt en pleine mer, vers l’Enfer ou le Purgatoire. Il importe que la digestion des morts soit légère. Le cordial de l’Esprit est santé souveraine et ce que les hommes traduisent : la vie future. C’est la petite flamme invisible — les physiciens connaissent bien la lampe sans flamme — qui illumine le crâne vide. Mais il faut le nettoyer du cerveau et il convient que la veilleuse de l’âme ne s’allume — comme on prend avant de s’endormir une pilule d’opium — qu’à l’article de la mort.

L’Esprit est ce Dieu futur et éternel, le même qui engrosse les vierges et qui, au commencement, flottait et sous l’espèce de qui l’homme communiera, quand il n’y aura plus besoin de communion, ou que Dieu, resté en arrière, communiera de l’homme. L’Esprit, au commencement, flottait… Dieu n’a commencé, vraisemblablement, que ce jour-là, car Moïse a voulu dire : l’Esprit qui flotte sur les eaux, c’est Dieu, et c’est pourquoi la transsubstantiation est claire ; et c’est après cette vérité, qui s’ébauchera seulement à la fin des temps, que commencera le commencement. Or je vois à de certains signes, certains, que c’est cette nuit-ci la fin des temps.

Sacqueville, comme si ce geste eût abrégé le soliloque de l’abbé, achevait de tasser le plus serré possible le petit rouleau.

— Donnez-moi la bouteille ; merci.

Il la prit très naturellement de la main de l’abbé absorbé dans sa divagation mystique.

— Ah ? elle n’est pas vide…

Il la déboucha, la flaira, essuya soigneusement le goulot avec un