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Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/51

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ler leur catéchisme : à l’intérêt en leur promettant, après la mort, un bonheur ininterrompu ou des châtiments éternels ; au sentiment en leur rappelant que leurs ancêtres ont cru pendant des siècles à toutes les bonnes absurdités contre lesquelles nous nous insurgeons aujourd’hui ; ils exploitent la crainte de l’avenir et le respect du passé. Comment voulez-vous que nous luttions contre eux si nous ne faisons pas vibrer les mêmes cordes qu’eux ? Le respect…

— La vérité n’a pas besoin de respect, dit nettement Fabrice ; elle est à tout le monde et éclaire tout le monde ; on n’a pas à la respecter, on la subit ; elle s’impose. Ce mot respect est bien dangereux. Une erreur est respectable pour le fils parce que le père en a été victime et si vous raisonnez ainsi, cette erreur demeurera éternellement. Nous respectons beaucoup de choses qui ne sont pas bonnes ; nous respectons la faiblesse sans la souhaiter ; nous respectons les infirmités ; en un mot nous respectons chez nos semblables toutes les misères inhérentes à l’individu ; l’erreur est personnelle comme les écrouelles ; nous respectons donc l’erreur. Toute opinion est respectable dit-on couramment ? Cela veut-il dire que toute opinion est vraie ? Ce serait absurde ! Au contraire, dès qu’une vérité est établie, elle n’est plus à personne. Vous viendra-t-il jamais à l’idée de respecter le théorème du carré de l’hypoténuse ? Dites à un monsieur que ces convictions religieuses sont stupides, il vous considérera comme un goujat, comme un mal appris, parce que vous ne respectez pas des opinions qui lui sont personnelles ; dites-lui au contraire que 2 et 2 font 5, il sourira de votre erreur, il vous considérera comme un imbécile et respectera votre imbécillité. Le respect est exigé par la vanité. Nous sommes fiers ou honteux de nos attributs personnels, de ce qui nous distingue de nos congénères ; nous désirons qu’on admire nos qualités, et qu’on se taise sur nos tares ; mais personne n’a jamais songé à se glorifier ou à avoir honte de caractères qui appartiennent à tout le monde ; un homme ne considère ni comme une injure ni comme un compliment, le fait que vous lui direz qu’il a un foie, un nez et des yeux ; il sera enchanté si vous lui dites qu’il est beau et qu’il a une vaste intelligence ; il sera furieux si vous lui dites qu’il est bête et laid.

» Les religions ont causé des guerres ; elles continuent à désunir les hommes ; c’est que, précisément, aucune d’elles ne représente la vérité ; on ne se battra jamais pour imposer une vérité scientifique acquise ; personne n’a intérêt à la propager ; elle est impersonnelle…

— Mais enfin, s’écria le docteur, tous les savants luttent pour