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Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/564

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Un pêcheur acheta une senne et, s’en servant un jour sur la grève voisine, captura d’un seul coup des centaines de muges et de limandes ; cela attira l’attention du chien sur les filets qu’il voyait sécher aux mâts des bateaux après le retour de la pêche ; il les observa donc attentivement et remarqua enfin une sardine oubliée qui pendait par les ouïes à l’un de ces filets. Alors il ne douta plus de la manière dont se passaient les choses au delà de l’horizon, et il dormit tranquille.

Quand nous étudierons les faits de la biologie, nous serons quelquefois obligés de nous contenter de formules synthétiques ; notre rôle se bornera à constater, comme le faisait ce chien philosophe, que tel phénomène commencé de telle manière nous conduit à tel résultat, car, entre le commencement et la fin d’une manifestation vitale, prennent souvent place des mouvements de la matière que nous ne sommes pas en mesure d’analyser aujourd’hui ; ils sont au delà de l’horizon de l’homme de science, comme la capture des sardines se passait au delà de l’horizon du chien. Nous nous efforcerons donc de raconter le phénomène total sans faire d’hypothèses sur les détails intermédiaires, et cela suffira à nous fournir un langage clair dont le bénéfice sera bientôt évident. Les chimistes nous ont donné l’exemple ; dans les formules qu’ils emploient, le premier membre de l’équation représente l’état des choses au commencement de la réaction (ce sont les bateaux qui partent avec le jusant) ; le second membre représente l’état nouveau obtenu à la fin de la réaction (ce sont les bateaux qui reviennent pleins de sardines ) ; entre le commencement et la fin de la réaction, se produisent des phénomènes intermédiaires dans les chimistes ne se soucient pas, et pour cause ; cela n’empêche pas qu’ils arrivent en accumulant les résultats globaux des réactions connues à en prévoir de nouvelles et à préparer des composés utiles sans connaître l’essence des réactions chimiques.

Que les chimistes ignorent l’essence des phénomènes chimiques, de même que les physiciens ignorent l’essence des phénomènes physiques, cela a conduit des esprits chagrins à nier l’opportunité des interprétations biologiques:« C’est un leurre, disent-ils, de vouloir expliquer la vie par la physique et la chimie qui elles-mêmes sont inexpliquées ! » Mais notre chien philosophe de tout à l’heure ignorait, lui aussi, bien des choses dans le phénomène qu’il observait; il ignorait la nature du mouvement des marées : il ignorait la nature du vent qui gonfle les voiles et le jeu du gouvernail qui permet de marcher Contre le vent : il ignorait surtout les migrations des sardines que nous