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Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/579

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lule de levure de bière, dans du moût oxygéné, donne deux cellules de levure de bière » est certainement plus claire que la vie de l’homme qui contient dans le premier acte de la segmentation de l’œuf toute l’obscurité persistant pour nous dans la vie de la levure de bière ; nous pouvons en effet, raconter ce premier acte de la vie humaine, exactement comme nous racontons la vie totale de la levure : « La cellule œuf, dans l’utérus nutritif, se divise en deux cellules ». Or, ces deux cellules se divisent à leur tour un très grand nombre de fois par des phénomènes toujours comparables à celui de la vie de la levure, et finissent par donner une agglomération de plus de 60 trillions de cellules, agglomération infiniment complexe, au cours de l’évolution de laquelle nous sommes bien aises de trouver des stades qui rappellent l’hydre ou le squale, ou tout autre type plus simple et plus clair que l’homme, quoiqu’en dise Auguste Comte.

Mais le langage humain a été créé par les hommes pour raconter les actes des hommes ; il est donc naturel qu’il soit précisément adéquat au but en vue duquel il a été créé et qu’il permette de raconter simplement les actes des hommes comme si ces actes étaient les choses les plus simples que nous connaissions. Quand nous disons je mange ou je dors, nous savons très bien quelle opération représentent ces simples mots et nous nous comprenons suffisamment. S’ensuit-il que le mécanisme représenté par le mot manger ne soit pas réductible à des phénomènes plus simples ? Nous sommes tellement dupes de notre langage que nous le croirions volontiers !

« Vous êtes illogique, me dira-t-on ; tout à l’heure vous préconisiez le langage synthétique, celui dans lequel on raconte les faits dans leur ensemble, tels qu’ils nous apparaissent d’abord, et sans faire d’hypothèse. Quand nous disons je mange, nous nous conformons précisément à cette règle et vous nous dites que cela n’est pas suffisamment clair ! » Mais précisément, ce langage synthétique est un langage provisoire dont nous devons nous contenter tant que nous ne pouvons pas pénétrer dans le détail de phénomènes ; ainsi, pour la levure de bière, nous nous arrêtions à cette formule « la levure assimile le moût et se multiplie », parce que nous ne savions pas quels sont les phénomènes intermédiaires qui expliquent l’assimilation. Nous employions une formule analogue pour une cellule vivante quelconque après avoir constaté que cette formule est adéquate à l’activité de toutes les cellules vivantes ; nous la considérions comme un bon point de départ pour la narration des phénomènes plus complexes qui se manifestent chez des êtres formés