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Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/580

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d’un grand nombre de cellules agglomérées ; de même quand, dans une première approximation, nous nous arrêtons à une formule synthétique relative aux actes de l’homme, nous pouvons nous servir avantageusement de cette formule synthétique pour raconter l’activité d’une chose plus complexe que l’homme, d’une société par exemple ; le langage synthétique qui raconte en bloc les actions de l’homme sera un langage analytique pour raconter les phénomènes qui se passent dans une société formée d’hommes, de même que le langage synthétique qui raconte en bloc l’activité d’une cellule devient langage analytique quand il sert à raconter l’activité d’un homme formé de 60 trillions de cellules.

En revanche, il est tout à fait antiscientifique de suivre la marche inverse et d’appliquer aux éléments d’un phénomène le langage synthétique créé pour la narration du phénomène total. Si l’on déclare que la société est dissoute, il ne s’ensuivra pas que les hommes soient dissous ; si l’on dit que l’homme mange, marche, avale, rit, pleure, il faudra se garder d’employer ces expressions pour raconter l’activité d’une cellule de l’homme, ou d’un grain de levure de bière qui lui ressemble.

Certaines expressions du langage humain ne sont évidemment pas applicables à la narration de la vie cellulaire, parce que la cellule ne présente rien d’analogue à ce que désignent ces expressions chez l’homme ; il n’y a, par exemple, aucun cas dans lequel nous songions à dire, qu’une cellule rit ; mais dans beaucoup d’autres cas, nous trouvons au contraire commode d’employer une expression qui raconte un acte analogue plus simple qui se produit dans une cellule. Par exemple nous disons que l’homme se nourrit et que la cellule se nourrit ; il est plus facile de raconter la vie d’une cellule avec le langage créé pour l’homme que de raconter la vie d’un homme avec le langage créé pour une cellule, mais si cela est plus facile, cela est moins scientifique, car cela conduit à donner aux mots des acceptions très différentes de leur acception primitive. Il est évident, en effet, que lorsque nous disons que l’homme se nourrit, nous songeons aux divers actes de la préhension, de la mastication, de la déglutition, de la digestion stomacale et intestinale, de l’absorption, de la circulation et de l’assimilation, sans compter la respiration pulmonaire, etc… Quand nous employons cette même expression pour la levure de bière nous savons que nous commettons un abus de mot et cet abus de mot a suffi pour qu’au début du dix-neuvième siècle l’illustre micrographe Ehrenberg ait cru découvrir dans les organismes unicellulaires toute la complexité du corps humain !