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Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/581

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Si, au contraire, nous avions créé le mot nutrition pour les êtres unicellulaires, nous en trouverions l’équivalent véritable dans les cellules de l’homme, mais il faudrait créer d’autres mots (préhension, mastication, déglutition, etc…) pour raconter ce que nous appelons aujourd’hui la nutrition de l’homme ; le langage créé pour les cellules sera analytique pour l’homme.

L’erreur anthropomorphique, la plus importante de toutes en biologie, et même, on peut le dire hardiment, la source de toutes les erreurs, tient presque exclusivement au langage ; le langage créé par les hommes pour raconter les actes des hommes, a servi ensuite pour raconter l’activité des autres animaux et est devenu par suite de moins en moins précis, à mesure qu’on s’en est servi pour des êtres de plus en plus éloignés de nous. Le mot vie par exemple, employé primitivement pour l’homme et les animaux supérieurs a été successivement appliqué aux êtres les plus simples et a ainsi conservé tout son mystère. De ce que la vie de l’homme paraissait irréductible à des phénomènes physicochimiques on a induit sans réflexion qu’il en était de même pour l’ensemble des actes que l’on désignait par le même mot chez les êtres les plus simples. Beaucoup de philosophes sont irréductiblement vitalistes parce qu’ils ne peuvent s’empêcher, quand ils parlent de vie, de penser à la vie de l’homme et d’en parler en langage synthétique, tandis que l’étude des phénomènes plus simples de la vie des êtres inférieurs leur aurait permis de raconter la vie de l’homme en langage analytique. Rien n’est plus stérilisant que l’erreur anthropomorphique ; elle supprime tous les problèmes relatifs à l’homme, parce qu’elle suppose a priori que ces problèmes sont insolubles.

Dans l’erreur anthropomorphique on peut distinguer plusieurs erreurs différentes également capables d’arrêter les recherches soit en supprimant les problèmes, soit en les rendant d’avance inextricables par un énoncé vicieux. L’erreur individualiste est une de celles qui ont joué le rôle le plus néfaste dans les sciences naturelles.

Nous donnons des noms aux hommes et nous les représentons ensuite par le même nom à travers toutes les modifications qu’ils subissent depuis leur enfance jusqu’à leur mort. Le nom que nous leur avons donné représente leur individualité, leur personnalité et, comme ce nom reste fixe, nous ne pouvons nous empêcher de raisonner sur leur individualité comme si elle était