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Page:Labriolle - La Réaction païenne, 1934.djvu/120

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la réfuter. Quel sens peut avoir, pour un Dieu, un voyage comme celui-là ? Serait-ce pour apprendre ce qui se passe chez les hommes ? Mais ne sait-il donc pas tout ? Est-il donc incapable, étant donnée sa puissance divine, de les améliorer sans dépêcher quelqu’un corporellement à cet effet[1] ? Ou faut-il le comparer à un parvenu, jusqu’alors inconnu des foules et impatient de s’exhiber à leurs regards en faisant parade de ses richesses[2] ?… Et si, comme les chrétiens l’affirment, il est venu pour aider les hommes à rentrer dans la droite voie, pourquoi ne s’est-il avisé de ce devoir qu’après les avoir laissés errer durant tant de siècles[3] ?

Objection plus grave encore : une pareille conception implique une sorte de rupture de l’harmonie du Cosmos :

Si Dieu descend en personne vers l’humanité, c’est donc qu’il abandonne la demeure qui est sienne. Il bouleverse du même coup l’univers. Or, que l’on change la moindre parcelle de cet univers, et tout l’ensemble s’en va à la débâcle[4].

Puis le moyen d’imaginer un Dieu renonçant provisoirement aux sublimes privilèges de son état ? Celse évoque ici toute la tradition philosophique :

Λέγω δὲ οὐδὲν καινόν, ἀλλὰ πάλαι δεδογμένα : « Je n’avance rien de nouveau, je dis des choses depuis longtemps démontrées. » Dieu est bon, il est beau, il est heureux ; sa situation est la plus belle et la meilleure. S’il descend vers les hommes, c’est donc qu’il s’assujettit à un changement, et ce changement sera (fatalement) de bon en méchant, de beau en laid, d’heureux en malheureux, de très bon en très mauvais. Qui voudrait d’un changement pareil ? — Au surplus, ce qui est mortel est, par nature, sujet aux vicissitudes, aux transformations. Mais ce qui est immortel reste, par essence, toujours identique à soi-même. Dieu ne saurait donc subir un changement de cette sorte[5].

  1. IV, 3-5.
  2. Ici Origène résume un développement de Celse, sans le citer littéralement.
  3. IV, 7.
  4. IV, 5.
  5. IV, 14.