Aller au contenu

Page:Labriolle - La Réaction païenne, 1934.djvu/277

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On me répondra : « Dieu peut tout. » Mais cela n’est pas vrai. Dieu ne peut pas tout. Il ne peut faire qu’Homère n’ait pas été poète, qu’Ilion n’ait pas été détruite, que deux fois deux fassent cent, et non point quatre. Dieu, le voulût-il, ne peut devenir méchant, ni pécher, car il est essentiellement bon[1]… Et lui, le Créateur, il verrait le ciel — peut-on imaginer quelque chose de plus admirablement beau que le ciel ! — se liquéfier, les étoiles tomber, la terre disparaître, tandis que les corps pourris, anéantis, des hommes ressusciteraient, y compris ceux qui, avant la mort, offraient un aspect pénible et repoussant ? Même s’il lui était facile de les ressusciter avec une forme seyante, comment la terre contiendrait-elle tous les morts, depuis la naissance du monde, s’ils venaient à ressusciter ?

On veut trouver dans la résurrection du Christ ou dans celle de Lazare une sorte de préfiguration de la nôtre. Mais le rapport reste inopérant. Le Christ, par hypothèse, n’était point né comme nous ex semine[2]. Quant à Lazare, c’est son propre corps, non encore tombé en déliquescence, qu’il reprit. Le nôtre doit être, après bien des siècles, tiré d’un mélange confus. Ensuite, si l’état qui suit la résurrection est un état heureux, exempt des besoins terrestres, pourquoi le Christ ressuscité a-t-il goûté à des aliments et montré ses plaies ? S’il l’a fait pour convaincre un incrédule, ce n’a été qu’un semblant ; s’il les a montrées pour de bon, c’est donc que l’on gardera après la résurrection les

  1. Sur ce point le chrétien Origène eût été d’accord avec Porphyre : « Nous ne nous réfugions pas, avait-il écrit, dans cette affirmation que tout est possible à Dieu, car nous savons fort bien qu’il ne faut pas entendre ce mot « tout » des objets qui n’existent pas ou qu’on ne peut concevoir. Nous disons aussi que Dieu ne peut commettre des actes mauvais : autrement Dieu aurait le pouvoir de cesser d’être Dieu. » Cf. E. de Faye, Origène, t. III, Paris, 1928, p. 33.
  2. « Si Christi, inquiunt, quo modo potest haec convenire resurrectioni natorum ex semine, eius qui nulla seminis condicione natus est ? » Harnack remarque que cette idée de chrétiens nés ἐκ τοῦ σπέρματος χριστοῦ est « ungewöhnlich ». Mais je crois qu’il faut lier haec à eius qui… : cette construction, un peu dure, est exigée par le sens. Dès lors, l’idée « insolite » signalée par Harnack disparaît du texte.