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Page:Labriolle - La Réaction païenne, 1934.djvu/33

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une fois qu’ils eurent invoqué après moi les dieux, supplié par l’encens et le vin votre image — que j’avais pour cela fait apporter avec les statues des divinités — et par surcroît maudit Christus, toutes choses auxquelles, dit-on, ne peuvent être amenés par la force ceux qui sont vraiment chrétiens, j’ai cru devoir les faire relâcher.

6 D’autres, nommés par le dénonciateur, ont dit qu’ils étaient chrétiens, et bientôt ils ont nié qu’ils le fussent, assurant qu’ils l’avaient bien été, mais qu’ils avaient cessé de l’être, les uns depuis trois ans, les autres depuis plus longtemps encore, certains depuis plus de vingt ans. Et tous, ils ont aussi vénéré votre image, les statues des dieux, et maudit Christus.

7 Or ils affirmaient que toute leur faute, ou toute leur erreur, s’était bornée à se réunir habituellement à jour fixe, avant le lever du soleil, pour réciter entre eux alternativement un hymne (carmen) à Christus comme à un dieu, et pour s’engager par serment, non à tel ou tel crime, mais à ne point commettre de vols, de brigandages, d’adultères, à ne pas manquer à la foi jurée, à ne pas nier un dépôt, quand il leur était réclamé ; que, cela fait, ils avaient coutume de se retirer, puis de se réunir de nouveau pour prendre ensemble une nourriture, mais une nourriture tout ordinaire et innocente[1] ; que, cela même, ils avaient cessé de le faire depuis l’édit par lequel, conformément à vos instructions, j’avais interdit les hétéries[2].

8 Ces déclarations m’ont fait regarder comme d’autant plus nécessaire[3] de procéder à la recherche de la vérité par la torture même sur deux femmes esclaves, qu’ils appelaient des ministrae[4]. Je n’ai rien trouvé qu’une superstition absurde, extravagante.

Aussi, suspendant l’instruction, ai-je résolu de vous consulter.

  1. Cette remarque implique que, dès le début du second siècle, de mauvais bruits couraient déjà sur les repas chrétiens. Ces calomnies trouvèrent créance tout au long du siècle (saint Justin, Apol. I, 26 ; II, 12 ; Dial. avec Tryphon X, 17 ; saint Irénée, fr. 13, p. 832 ; Stieren ; Athénagore, Leg. 3 ; Théoph., ad Autol. III, 4, 15 ; Tertullien, Apol. VII, 1, etc.). — Nul doute que le cibus en question soit l’eucharistie : ou bien Pline n’a pas compris (c’est le plus probable) ; ou bien les apostats avaient eux-mêmes employé des expressions vagues à dessein, pour éluder les questions embarrassantes.
  2. La défiance de Trajan à l’égard des associations, même les plus inoffensives en apparence, se décèle dans cette même Correspondance, Ép. 33-34.
  3. L’entière innocence de la vie chrétienne, telle que les apostats la lui ont décrite, la déférence dont ils assurent que les ordres du légat sont entourés, tout cela forme un tableau trop idyllique. Pline se méfie, et juge « d’autant plus nécessaire » d’aller au fond des choses. Sans doute la torture lui en fera-t-elle savoir davantage.
  4. Sans doute des préposées aux soins du culte. Le mot diaconesse aurait ici saveur d’anachronisme.