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Page:Labriolle - La Réaction païenne, 1934.djvu/44

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La façon dont Suétone encadre ce memento de la persécution de l’année 64 est significative : un épisode sans intérêt, une équitable sanction, voilà quelles impressions il a gardées du peu qu’il en a su. Les mots qu’il emploie ne sont pas sans portée. Le christianisme est pour lui une « superstition ». Nous avons déjà rencontré le mot chez Pline le Jeune. Il est pris très ordinairement en mauvaise part : déjà Cicéron l’opposait expressément à religio : « Non philosophi solum, verum etiam maiores nostri superstitionem a religione separaverunt. » « Non seulement les philosophes, mais aussi nos ancêtres ont distingué entre « superstition » et « religion »[1]. » — Cette superstition est « nouvelle ». Voilà une tare qui suffisait à la rendre suspecte, et qui, dans la suite, lui sera souvent reprochée[2]. S’il y a un principe dont les Romains aient été pénétrés, c’est assurément celui-ci : toute institution, quelle qu’elle soit, qui se rattache à un passé lointain a droit au respect. La croyance à la supériorité de l’humanité primitive, au double point de vue de la « science » et de la « vertu » n’était pas étrangère à une telle conviction, que professaient les moralistes les plus autorisés[3]. Il faut connaître cet état d’esprit pour comprendre l’insistance avec laquelle les premiers avocats du christianisme se défendront contre le grief de nouveauté, et s’attacheront à démontrer que, soudée au judaïsme, qui l’avait précédée et préparée, la

  1. De Nat. Deorum, II, 28, 71 ; cf. I, 42, 117. Voir sur ce mot superstitio, Martroye, dans Bull. de la Soc. des Antiquaires de France, 1915, p. 280-292 ; 1916, p. 106 et s.
  2. Voy. Théophile, Ad Autol. II, 30, 32 et s. (προσφατοί καὶ νεωτερικοί) ; ibid., III, 1, 4 ; Saint Justin, Cohort. IX ; Minucius Felix, Oct. VI, 3 ; Celse, ap. Origène, I, 14, etc.
  3. Cicéron, Tusc. I, 12, 26 ; Sénèque, De Benef., I, 10, 1 ; Quintilien, Inst. Or., III, 7, 26 ; Tacite, Hist. V, 5, etc.