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Page:Labriolle - La Réaction païenne, 1934.djvu/60

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réconfort. Sénèque et Tacite sont pleins d’exemples où se montrent son action bienfaisante et l’indéniable efficacité de ses directions. D’avoir su ainsi parler aux consciences, et d’avoir apporté aux « maladies » de l’âme (cette expression est toute stoïcienne) une thérapeutique appropriée, ç’avait été un service que nul homme de quelque culture ne pouvait oublier. Du jour où des princes qui se piquaient de sagesse eurent pris la place déshonorée par un Néron ou un Domitien, la philosophie, sûre désormais des complaisances du pouvoir, et qui bénéficiait parfois de ses plus tangibles faveurs, élargit davantage son action[1]. Elle ne voulut plus s’enfermer dans des cénacles clos ; et, renouant une tradition séculaire, elle alla jetant à tous, sur les carrefours et dans les basiliques, les préceptes naguère réservés à une élite[2]. Le type du « professionnel » de la philosophie, reconnaissable à sa barbe et à son manteau, se multiplie au second siècle, et se désigne par cette « enseigne » au respect de la foule et à l’ironie de sceptiques tels que Lucien de Samosate, lequel ne consentira jamais à le prendre au sérieux.

Il est aisé d’apercevoir les points de friction où christianisme et philosophie devaient s’aheurter. Peu capables d’enrichir l’héritage reçu des penseurs de jadis, les philosophes se flattaient d’en être du moins les dépositaires et les défenseurs, à l’encontre des conceptions introduites par la foi nouvelle. — Ils pouvaient opposer à la « charité » chrétienne la « philanthropie » dont ils enseignaient les prin-

  1. « Le crédit des philosophes, remarque E. Renan (Les Évang., p. 383) va toujours grandissant jusqu’à Marc-Aurèle, sous lequel ils règnent. »
  2. Épictète a lui-même raconté certaines de ses déconvenues dans ses essais de propagande orale (Entretiens, II, 12, 17-25).