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Page:Labriolle - La Réaction païenne, 1934.djvu/76

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petit livre si admiré, et c’est pour leur témoigner son froid mépris.

Voici comment il s’exprime :

Quelle âme qu’une âme qui se tient prête, s’il lui faut sur l’heure se délier du corps pour s’éteindre, se disperser, ou survivre ! Mais cette disposition, il faut qu’elle résulte d’un jugement personnel, non d’un simple esprit d’opposition, comme chez les chrétiens[1]. Qu’elle soit raisonnée, grave, sans fracas tragique : c’est la condition pour persuader les autres[2].

L’interprétation de ce passage est aisée. Marc-Aurèle a la préoccupation constante, la hantise de la mort. Contre cette pensée qui l’obsède, il cherche à se raidir, pour franchir un jour avec une sorte de sérénité le douloureux passage — qui ne conduit à rien[3]. Il est tenté d’admirer ceux qui sont arrivés au détachement total, à la mortification du désir, et qui se sentent assez forts pour affronter la terrible échéance. Le cas des martyrs chrétiens dut retenir son attention[4], mais il n’éveilla chez lui aucune pitié. Il n’admira point ces « témoins » qui se faisaient égorger. Une pose théâtrale, un vain étalage de bravoure, un faste « tragique », voilà sous quel aspect déplaisant leur héroïsme lui apparut. Or il n’aimait pas la « tragédie[5] ». Il eut même cette naïveté de croire qu’un fanatisme si endurci ne pouvait propager aucune contagion, ni susciter de nouveaux adeptes à la secte qu’il méprisait.

  1. μὴ κατὰ ψιλὴν παράταξιν, ὡς οἱ Χριστιανοί.
  2. XI, 3.
  3. Marc croyait de moins en moins à la survie de l’âme : XII, 5 ; cf. X, 31 ; XII, 14 ; XII, 21, etc.
  4. « Cela témoigne, remarque très justement Ernest Havet (Le Christianisme et ses Origines, IV, 440), qu’on voyait alors beaucoup de ces morts, — assez pour que les philosophes en fussent impatientés et agacés. »
  5. III, vii, 2 ; V, xxviii, 4.