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Page:Labriolle - La Réaction païenne, 1934.djvu/77

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C’est que, comme dit fort bien E. Renan[1], « le genre de surnaturel qui faisait le fond du christianisme lui était antipathique ». Sa philosophie stoïcienne, qui concevait l’homme, corps et âme, comme une parcelle de la Raison universelle, à laquelle il n’est que de s’assujettir et de collaborer, le mettait en plein antagonisme avec la foi chrétienne, qui place Dieu en dehors et au-dessus du monde. La morale chrétienne même, gouvernée par les « commandements » de Dieu, ne pouvait lui paraître qu’une dangereuse chimère auprès de la sienne, dont la seule raison dictait les lois. Là où elles semblent se côtoyer l’une l’autre, un brusque écart avertit parfois qu’on aurait tort de supposer qu’elles vont se fondre.

Le propre de l’homme, c’est d’aimer ceux qui l’offensent…

On croirait entendre la parole de Jésus, dans saint Matthieu (v, 44).

Mais voici les considérants :

Le moyen d’y parvenir, c’est de te représenter qu’ils sont tes parents, qu’ils pèchent par ignorance et involontairement ; que, dans un instant, les uns et les autres vous serez morts[2]

« Supporter les hommes[3] » avec résignation, avec une bienveillance un peu forcée, c’est tout ce qu’espère l’âme fatiguée de Marc-Aurèle. Mais cette prétention chrétienne à les changer, à les renouveler à fond, qu’elle devait lui sembler irritante et folle ! « Ils n’en suivront pas moins les mêmes errements, dusses-tu en crever[4]. »

  1. Marc-Aurèle, p. 55.
  2. VII, 22.
  3. v, 33.
  4. viii, 4.