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Page:Labriolle - La Réaction païenne, 1934.djvu/93

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remarque que c’était là une pratique familière à Cicéron lui-même, qui n’hésitait pas à maltraiter les Gaulois, les Alexandrins, les Asiatiques, les Juifs, quand il pouvait en tirer quelque profit pour sa cause.

Quoi qu’il en soit, Fronton avait certainement rédigé par écrit cette invective, puisque Cæcillus s’en sert comme d’un document que ses amis chrétiens connaissent aussi bien que lui. Si l’Octavius doit être placé après l’Apologétique de Tertullien, autrement dit dans les premières années du iiie siècle[1], c’est donc que la diatribe de Fronton avait obtenu un retentissement durable ; et cela ne surprend guère, quand on songe au rang que lui assignait la naïveté de ses contemporains.

Ce qui est significatif dans cette virulente intervention, c’est de voir un Fronton — esprit superficiel, mais cultivé, âme sans malice et sans fiel — dévouer servilement son éloquence à attiser les passions vulgaires. Malgré sa haine du christianisme, Celse, qui est de la même génération, dédaignera de ramasser pour le combattre ces armes empoisonnées. Fronton manquait de sens critique ; mais on s’étonne que son honnêteté naturelle ne l’ait pas détourné de cette vilenie. Nul rôle plus méprisable que celui qu’assume « l’intellectuel » quand, loin de combattre les préjugés meurtriers de la foule, il s’y associe, il les exalte et leur prête l’autorité de son talent et de sa voix.

Peut-être l’attitude de Fronton ne fut-elle pas sans influence sur celle de son impérial élève, Marc-Aurèle. Le prince avait pour lui de l’affection, du respect, et savait

  1. Sur ce point controversé, voir P. de Labriolle, Hist. de la Litt. lat. chr., 2e éd., p. 173 et s.