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Page:Lacerte - L'ombre du beffroi, 1925.djvu/41

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L’OMBRE DU BEFFROI

tion devant notaire, ne possède rien au monde… pas même un toit pour s’abriter.

— Il y a le Beffroi, père, dit doucement Marcelle.

— Oui, ma chérie, il y a le Beffroi ! Ce soir même, je partirai pour Québec et j’en ramènerai Dolorès… Désires-tu m’accompagner, Marcelle ? demanda Henri Fauvet.

— Non, père, répondit-elle. Vous ne serez pas longtemps absent ; je resterai ici et préparerai la chambre de mon amie. Pauvre, pauvre Dolorès !

— Elle sera ici chez elle. Le Beffroi est assez grand pour nous contenir tous, et tant que Dolorès se plaira avec nous…

— Quelque chose me dit que nous ne la garderons pas bien longtemps, cependant, dit Marcelle en souriant. Avez-vous remarqué, père, combien M. Archer a eu l’air d’admirer Dolorès ?

— Non, je ne l’ai pas remarqué, mignonne, répondit Henri Fauvet. Mais, je ne pourrais souhaiter un meilleur mari à Dolorès que le fils de mon plus intime ami… Allons ! ajouta-t-il. Je vais faire mes préparatifs de départ. Il est déjà quatre heures et le train part à sept heures, à une dizaine de milles d’ici !

Aussitôt arrivé à Québec, et après avoir retenu sa chambre à l’hôtel, Henri Fauvet se rendit chez Mme de Bienencour, et il fut heureux de constater que cette dame avait retrouvé sa santé et sa joyeuse humeur.

— Ah ! M. Fauvet ! L’homme du Nord ! dit, en riant, Mme de Bienencour. Soyez le bienvenu, des milliers de fois !

— J’espère que vous êtes tout à fait remise de votre indisposition de l’hiver dernier, chère Madame ? demanda Henri Fauvet.

— Merci, M. Fauvet, ça va mieux, beaucoup mieux, sauf quelques petites douleurs rhumatismales qui me sont restées, je suis parfaitement guérie. Tiens ! Voilà Gaétan !

En effet, Gaétan entrait dans le salon. Il vint, hâtivement saluer Henri Fauvet… le père de Marcelle !

— M. Fauvet ! s’exclama-t-il. Quelle surprise ! Comment vous portez-vous ? Et Mlle Fauvet ? Elle ne vous a pas accompagné ?

— Non, M. de Bienencour, Marcelle ne m’a pas accompagné. Vous le savez sans doute, du moins, vous le devinez, je suis venu chercher Dolorès.

— Cette pauvre Dolorès ! s’écria Mme de Bienencour. Je lui ai envoyé un mot, par Iris, ce matin, et je me propose d’aller la chercher cet après-midi et l’amener ici. Adolphe de Pont-Joly et sa femme ont pris possession de la maison, et soyez certain, M. Fauvet, qu’ils ne feront pas la vie belle à Dolorès !

— J’emmènerai Dolorès au Beffroi ; Marcelle l’attend.

— L’hospitalier Beffroi ! fit, en souriant, Mme de Bienencour.

À ce moment, un domestique vint annoncer que la voiture était à la porte.

— Puisque vous vous rendez chez les de Pont-Joly, M. Fauvet, veuillez m’accompagner, dit Mme de Bienencour. Nous ramènerons Dolorès avec nous.

Quand ils arrivèrent chez les de Pont-Joly, un domestique les fit entrer au salon ; il était sous l’impression, évidemment, que la famille était dans cette pièce. Mais il se trompait. De la bibliothèque, des voix parvinrent à Mme de Bienencour et à Henri Fauvet.

— Ainsi, Mlle Lecoupret, disait une voix aigre et désagréable, une voix de femme, n’oubliez pas que nous n’avons aucune obligation envers vous. Vous êtes la nièce de Mme de Pont-Joly et Mme de Pont-Joly est morte. Puisque Mme de Bienencour vous offre l’hospitalité, croyez-moi, vous feriez bien de l’accepter le plus tôt possible… Nous avons besoin de la chambre que vous occupez, dans cette maison, d’ailleurs…

— C’est bien, Madame, répondit la voix de Dolorès. J’accepterai, avec une reconnaissance infinie l’hospitalité de Mme de Bienencour, qui a toujours été la bonne amie de ma tante. Je vais préparer mes malles…

— Et n’oubliez pas que vous n’avez droit qu’à vos effets personnels, Mlle Lecoupret ! dit une voix d’homme ; celle d’Adolphe de Pont-Joly, cette fois. Les dentelles, les bijoux de votre tante…

— M’appartiennent en propre, M. de Pont-Joly, acheva Dolorès. Ma tante m’en a fait donation, devant notaire.

— Il faudra voir cela… cette donation, je veux dire. En attendant…

— Pardon, M. de Pont-Joly ! dit, soudain, Mme de Bienencour, qui venait d’entrer dans la bibliothèque.

Mme de Bienencour ! s’écria Dolorès, qui vint se placer à côté de cette dame. Oh ! Mme de Bienencour, emmenez-moi chez-vous !

— Je suis venue te chercher, Dolorès.

— Je suis sûre que Mlle Lecoupret doit vous être fort reconnaissante de l’hospitalité que vous lui offrez, Mme de Bienencour, dit d’un ton mielleux, Mme de Pont-Joly ; car, sans cela…

Mlle Lecoupret aura toujours un toit pour l’abriter et des cœurs pour l’aimer, tant que je vivrai, interrompit Henri Fauvet, qui venait d’entrer, à la suite de Mme de Bienencour.

— M. Fauvet ! Oh ! cher M. Fauvet ! s’écria Dolorès, qui se suspendit, en pleurant, au cou du père de son amie.

— J’ai ordre de Marcelle de te ramener avec moi au Beffroi, dit Henri Fauvet, en souriant. Nous partirons demain. En attendant, va préparer tes malles ; nous nous rencontrerons chez Mme de Bienencour, ce soir.

— Ne viendrez-vous pas prendre le déjeuner avec nous, M. Fauvet ? demanda Mme de Bieneucour. De fait, pourquoi n’êtes-vous pas venu directement aux Terrasses, en arrivant ? J’aurais été fort heureuse de vous offrir l’hospitalité.

— Merci, Madame ! Mais, il y a certaines affaires que je désire régler tandis que je suis à Québec. À ce soir, sans faute, cependant ! répondit le père de Marcelle, puis il quitta la maison des de Pont-Joly.

En descendant les marches de l’escalier, il croisa Gaston Archer.

— M. Fauvet ! s’écria Gaston. Vous, à Québec ! Quelle surprise !

— Je suis venu chercher Mlle Lecoupret ; je vais la ramener au Beffroi, où Marcelle l’attend.

— Ainsi, Mlle Fauvet ne vous a pas accompagné, cette fois ?

— Non. Elle a préféré être sur les lieux, pour recevoir Dolorès.