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Page:Lacerte - L'ombre du beffroi, 1925.djvu/42

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L’OMBRE DU BEFFROI

— Vous proposez-vous de retourner tout de suite dans le nord, M. Fauvet ?

— Oui, tout de suite demain.

— Alors, je cours offrir mes sympathies à Mlle Lecoupret ; en même temps, je lui ferai mes adieux. Au revoir, M. Fauvet ! dit Gaston, en franchissant le reste des degrés conduisant à la maison.

— Tu choisis mal ton temps, Gaston, dit Henri Fauvet. Mlle Dolorès est à préparer ses malles, aidée par Mme de Bienencour, dans le moment. Pourquoi n’attends-tu pas à ce soir ? Nous irons, ensemble dîner et veiller aux Terrasses.

— Ah ! Mlle Lecoupret va se retirer immédiatement chez Mme de Bienencour ?

— Oui. Les de Pont-Joly se sont installés dans la maison, et ce n’est plus tenable pour Dolorès.

— Pauvre Mlle Dolorès ! fit Gaston.

— Je t’invite à déjeuner avec moi, à l’hôtel, mon garçon, dit Henri Fauvet. Acceptes-tu ?

— Je dis que c’est bien aimable à vous de m’inviter et je n’aurai garde de refuser, cher M. Fauvet.

— Au revoir donc ! À tout à l’heure ! Nous déjeunons à une heure précise.

Le programme que Henri Fauvet s’était tracé fut exécuté à la lettre ; il vaqua à ses affaires d’abord, puis il déjeuna avec Gaston, ensuite, on dîna, tous ensemble aux Terrasses.

Pendant la veillée, on fit des projets pour l’été, puis Gaston dit ;

— M. Fauvet, j’aurais une grande faveur à vous demander… J’ose à peine, cependant…

— Qu’est-ce, Gaston ?… « Demandez et vous recevrez » a dit le Seigneur, tu sais.

— Ce serait d’arrêter chez-nous, demain, au lieu de continuer tout droit dans le nord. Mon père et ma mère seraient si heureux de vous revoir, M. Fauvet, et aussi, ils désirent vivement faire la connaissance de Mlle Lecoupret. Ne refusez pas, je vous prie !

— Cela retarderait notre arrivée au Beffroi d’un jour, répondit Henri Fauvet ; mais, si Dolorès n’y a pas d’objections, nous allons accepter ton invitation. Qu’en dis-tu, Dolorès ?

— Rien ne me serait plus agréable, répondit Dolorès, souriant et rougissant en même temps.

M. et Mme Archer attendaient leurs visiteurs à la gare. Quelle joie, pour eux, de revoir Henri Fauvet et de faire la connaissance de Dolorès, dont Gaston leur avait parlé si souvent !

Une confortable berline de famille les transporta tous au Vieux Manoir ; c’est sous ce nom que leur propriété était désignée. Aussi, la grande maison blanche, devant laquelle la berline s’arrêta, ressemblait-elle beaucoup aux manoirs de jadis (peut être en était-ce un d’ailleurs).

— Oh ! fit Dolorès, en apercevant la maison. C’est splendide le Vieux Manoir, splendide !

M. et Mme Archer aimèrent tout de suite Dolorès ; la jeune fille, de son côté, raffola de l’homme aimable et courtois qu’était Émile Archer, ainsi que la dame charmante et douce qu’était Mme Archer. Gaston était au comble de ses joies : avoir Dolorès sous son toit ! Que pouvait-il désirer de plus ou de mieux… pour le moment ?

Le lendemain, Henri Fauvet et Dolorès durent faire leurs adieux aux Archer et reprendre la route du nord. Gaston alla les accompagner jusqu’à Montréal, puis on se sépara, mais avec promesse de se revoir.

Quelle réception ils eurent, au Beffroi ! Marcelle les attendait, sur le pont du Tocsin, et c’est à pied qu’ils parcoururent le chemin, du pont à la maison.

— Chère Dolorès ! s’écria Marcelle. Tout est prêt pour te recevoir. Je t’ai donné ton ancienne chambre, que nous appelons toujours « la chambre de Dolorès » d’ailleurs. Tu es la bienvenue, des milliers et des milliers de fois ! Tu seras ma sœur, Dolorès. Tu le sais, j’ai toujours désiré avoir une sœur ; eh ! bien…

— J’ai deux filles maintenant ! dit Henri Fauvet, en souriant.

— Cher M. Fauvet ! Chère Marcelle ! fit Dolorès, tandis que des larmes coulaient sur ses joues. Je n’ai pas essayé de vous remercier de l’empressement que vous avez mis à venir à mon secours… C’est que je…

— Qu’il n’en soit pas question, Dolorès, dit Henri Fauvet. Inutile de te dire que, en apprenant la nouvelle du décès de ta tante de Pont-Joly, rien ne nous a semblé plus naturel, à Marcelle et à moi, que de t’offrir l’abri de notre toit et l’affection de nos cœurs.

— L’hospitalier Beffroi… murmura Dolorès, ainsi que l’avait fait Mme de Bienencour, quelques jours plus tôt.

Dolorès fut vite installée au Beffroi. Raymond Le Briel, le premier, vint lui rendre visite, puis vinrent le Docteur Carrol et ses deux filles.

Le temps s’écoulait agréablement. Un jour, Dolorès constata qu’il y avait déjà un mois et demi qu’elle avait quitté la ville de Québec. L’été était arrivé ; le bel été, qui ramènerait Gaston Archer dans le nord, pensait-elle… L’été, qui ramènerait peut être Gaétan de Bienencour, se disait Marcelle.


CHAPITRE IV

LE PRESSENTIMENT DE RAYMOND LE BRIEL


On était au 7 juin. Raymond Le Briel avait dîné au Beffroi. Il ne se pressait pas pour retourner chez lui, car la lune devait se montrer de bonne heure, et Aquilon, son cheval, aurait bientôt parcouru les cinq milles séparant le Beffroi de l’Eden.

Raymond adorait Marcelle. Combien de fois il avait été tenté de la demander en mariage ! Mais il craignait un refus, qui lui fermerait, en quelque sorte, les portes du Beffroi. Marcelle lui donnait toutes les preuves d’une grande amitié, mais c’était tout, et ce n’était pas ainsi que le jeune homme voulait être aimé, bien sûr… Il attendrait encore quelque temps, avant de risquer la proposition… En attendant, il était toujours le très bienvenu chez les Fauvet ; il ne quitterait pas, pour ainsi dire, la proie pour l’ombre.

— Que ! temps splendide nous avons ! s’écria Marcelle, en ce soir du 7 juin, alors qu’elle et son père, Dolorès et Raymond étaient assis sur un banc, qui avait été placé sur le bord de la Rivière des Songes. Pas un nuage au ciel ! C’est ravissant !

— C’est ainsi que devrait toujours être l’été, dit Dolorès : du beau temps, jamais de pluie… La pluie, c’est si détestable !

— La pluie a son utilité, cependant, Mlle Le-