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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/106

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LE BRACELET DE FER

douleur que j’en ressentis me fit pousser un cri de douleur, qui fut entendu aussitôt.

— Vous vous êtes fait mal, Monsieur ?

Je levai les yeux, et j’aperçus un frêle garçonnet de quatorze à quinze ans, qui me regardait avec compassion.

— J’ai dû me donner une entorse, répondis-je, assez impatienté de ma maladresse.

— Une entorse ! Oh ! Que vous devez souffrir alors ! s’écria le garçonnet. Il faudrait baigner votre pied dans de l’eau glacée, sans retard, afin qu’il n’enfle pas trop… Pourriez-vous me suivre jusque chez-nous ? Ce n’est qu’à cent pas d’ici.

— Je puis toujours essayer, répondis-je.

Je me levai debout, mais je retombai aussitôt ; mon pied me causait d’intolérables élancements.

— Attendez ! fit le garçonnet.

Il fit un cornet de ses deux mains et appela :

— Candide !

— Oui ! répondit une voix enrouée. Qu’est-ce qu’il y a, Bernard ?

— Venez ici tout de suite, s’il vous plaît ! Je suis près de l’arbre foudroyé. Venez vite !

Au bout de quelques instants, je vis apparaître une femme âgée ; elle était coiffée d’un bonnet blanc, et enveloppée dans un châle à carreaux.

— C’est ce monsieur… dit Bernard à la vieille femme, en me désignant.

— Eh ! bien ? demanda Candide d’une voix rude sous laquelle cependant perçait une grande bonté.

— Ce monsieur s’est donné une entorse, je crois. Si vous le voulez bien, Candide, nous allons lui aider à se rendre à la maison, tout de suite.

Avec l’aide de la vieille Candide et celle, moins effective cependant, du frêle garçonnet, je parvins à me rendre à la maison de ces braves gens.

Ce n’était qu’une pauvre masure que leur maison ; de fait, on ne la nommait jamais autrement que La Masure. Elle ne contenait que trois pièces : une salle d’entrée, une chambre à coucher, et une cuisine ; mais le tout était d’une extrême propreté.

On me fit coucher sur un canapé, puis Candide appela :

— Annine !

— Eh ! bien ? répondit une voix jeune et claire.

— Apporte le bain de pieds et de l’eau froide. Tout de suite, n’est-ce pas ?

— Certainement. Candide.

Mon pied me faisait horriblement souffrir ; déjà, il était très enflé.

La porte de la cuisine s’ouvrit, et une jeune fille d’une rare beauté parut sur le seuil. Sa chevelure brune, ses yeux gris, sa bouche mignonne, ses traits délicats, sa taille élancée… qui eut cru rencontrer tant de séductions et de charmes dans ces régions isolées ?

À quoi servent d’inutiles détails, Paul ?… Tu ne seras nullement étonné quand je te dirai que je devins éperdument amoureux d’Annine, et que, moins de deux mois plus tard, je l’épousai.

J’emmenai ma femme à La Maisonnette ; nous devions y passer le reste de l’été, puis, à l’automne, j’emmènerais mon Annine à Québec, où elle deviendrait la châtelaine de mon « château ». De ce « château », je ne lui dis pas un seul mot, désirant lui causer une agréable surprise, quand le temps en serait venu ; je ne lui dis pas même que j’habitais habituellement la Banlieue de Québec.

Annine était heureuse à La Maisonnette, qui lui paraissait être un palais, lorsqu’elle la comparait à La Masure surtout.

Mais, hélas ! Il y avait une ombre au tableau, un nuage à notre horizon conjugal ; cette ombre, ce nuage, c’est mon caractère jaloux qui les avaient suscités…

Ah ! comprends bien, mon fils ; cette jalousie dont je te parle avait pour objet Bernard, le frêle garçonnet, le frère d’Annine ; un pauvre être que la consomption avait réclamé pour sa victime, depuis plusieurs mois. Annine aimait beaucoup son jeune frère, (rien de plus naturel, n’est-ce pas) ? et elle était continuellement inquiète à son sujet. Deux fois, depuis que nous étions mariés, nous avions dû faire le trajet, de La Maisonnette à La Masure à cause de l’inquiétude que ma femme ressentait pour Bernard.

Enfin, Bernard fut alité. Alors, sa sœur me pria de l’envoyer chercher afin qu’elle put le soigner, jour et nuit, si nécessité il y avait… Je refusai.

— Tu es ma femme, Annine, lui dis-je, assez brusquement ; c’est moi qui devrais être l’objet de tes soins, de tes soucis, et non ton frère.

— Mais, Delmas, objecta-t-elle, les yeux grands, étonnés, Bernard est mon frère, mon cher petit frère, et nous nous sommes toujours tant aimés ! Je ne puis pas l’abandonner aux seuls soins de Candide ; cette pauvre vieille, qui nous a recueillis, Bernard et moi, après la mort de notre mère, ne peut pas soigner, seule, cet enfant !

— C’est inutile d’insister, Annine ! Je le répète, ton premier devoir est envers moi, ton mari. Je ne veux pas avoir ce malade ici, car je sais bien ce qui arriverait ; tu ne t’occuperais que de lui et… je ne veux pas ; voilà !

— Alors, Delmas, répliqua Annine dont la douce voix était remplie de larmes, puisqu’il n’y a pas de place ici pour mon petit frère, j’irai à La Masure, le soigner. Je le répète, je ne peux pas l’abandonner ainsi, ce pauvre Bernard…

— Je te défends de partir, Annine ; je te le défends, entends-tu ! m’écriai-je. Et j’en ai assez d’entendre parler de cet enfant !

Ce-disant, je quittai La Maisonnette, en fermant la porte avec force derrière moi.

Je ne revins à la maison qu’à l’heure du crépuscule. Je m’attendais bien de trouver ma femme en larmes. Déjà, je regrettais de m’être mis en colère, et je me sentais prêt à faire des concessions, afin de réparer, autant que possible, mon mouvement de mauvaise humeur de ce matin-là.

Mais, Annine n’était pas dans la maison… Je l’appelai, mais ne reçus pas de réponse… Je la cherchai, aux environs de La Maisonnette ; je ne la vis nulle part…

Cependant, sur une petite table, près de l’une