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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/107

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LE BRACELET DE FER

des fenêtres de la salle d’entrée, j’aperçus enfin une enveloppe à mon adresse, et l’écriture était celle de ma femme. Elle m’écrivait qu’elle partait pour La Masure. Elle disait qu’elle était certaine que je lui pardonnerais d’être partie ainsi, lorsque j’aurais réfléchi un peu : elle s’attendait même à ce que j’aille la rejoindre, et lui aider à soigner son pauvre petit frère, que la mort guettait déjà, hélas !

« Je t’aime, Delmas, plus que tout au monde, ajoutait-elle ; mais Bernard a besoin de moi, vois-tu. Comment pourrais-je refuser mes soins à cet enfant que ma mère, en mourant, m’a confié » ?

Moins d’un mois plus tard, Bernard mourut : j’appris la nouvelle d’un passant. Aussitôt, je quittai La Maisonnette, après avoir laissé, sur un meuble, à l’adresse d’Annine, un billet ainsi conçu :

« Tu m’as préféré ton frère, Annine… Adieu !
wwwwwwwwwDELMAS ».

— Ô ciel ! se dit Paul, lorsqu’il eut lu cette partie de la lettre de son père. Qui eut cru que « l’oncle Delmas », toujours si bon, si doux, si affable envers tous, avait, jadis, brisé le cœur de sa femme… de ma mère ainsi ?…

Ô, mère ! Mère ! Pauvre abandonnée ! Et vous, père, vous qui m’avez tant aimé, tant gâté, comment avez-vous pu agir ainsi ?…

Des larmes coulèrent sur les joues du jeune homme, et un certain temps s’écoula avant qu’il put reprendre lecture de la lettre de son père.

Chapitre III

LE RAPT


« Je revins à Québec, continuait la lettre de Delmas Fiermont à son fils, et ce n’est que deux ans plus tard, vers la fin de l’été ; de fait, le 18 du mois de septembre, que je retournai à La Maisonnette.

Ainsi que je l’avais prévu, Aniline y était revenue, après le décès de Bernard, car le billet que je lui avais laissé avant mon départ avait disparu… à sa place, je trouvai une lettre de ma femme, écrite au mois d’août de l’année courante alors. (Cette lettre, Paul, tu la trouvera dans le compartiment secret de mon coffre-fort). C’est le cri d’une âme désolée, cette lettre de ta pauvre mère… tu en jugeras par toi-même d’ailleurs. J’en transcris seulement le paragraphe suivant :

« Le sais-tu, Delmas, que nous avons un fils ?… Il est né le 10 mai de l’année dernière. Si tu le voyais, Delmas ! C’est le plus bel enfant du monde. Il a quinze mois maintenant, le cher petit. Je l’ai nommé Paul… Tu te souviens peut-être que tu m’avais dit, un jour, que si jamais nous avions un fils, nous le nommerions Paul ; que tu aimais beaucoup ce nom » ?

Ainsi, j’avais un fils ! Un enfant de quinze mois, non, de seize mois maintenant. À cet âge, un enfant est déjà intéressant… J’avais un fils, et je ne le verrais pas… à moins que ma femme me pardonnât ma conduite passée… Un fils !… Un enfant à moi !… Oh ! si je pouvais le ramener au « château » avec moi ; il serait élevé dans le plus grand confort, le plus grand luxe…

Résolu, soudain, je sellai mon cheval, et je partis pour La Masure. J’irais voir mon fils… J’implorerais le pardon de sa mère, et je les ramènerais tous deux à Québec avec moi…

Auparavant, cependant, je voulais observer les alentours de La Masure ; voir ce qui s’y passait ; voir, sans être vu. Il était huit heures du soir et il faisait noir, car il n’y avait pas de lune, et dans ces régions presque inhabitées, aucune lumière artificielle ne perçait l’obscurité.

Arrivé à quelque distance de La Masure, je descendis de cheval, et attachant ma monture à un arbre, je m’acheminai vers la maison de Candide, dont la salle d’entrée était éclairée. À pas de loup, et prenant mille précautions pour que les rayons de la lampe ne m’atteignissent pas, ce qui eut révélé ma présence, je jetai un coup d’œil à l’intérieur, et voici ce que je vis : Annine, ma femme, plus belle encore que lorsque je l’avais rencontrée pour la première fois, était sur une chaise berceuse et tenait son enfant dans ses bras… Je ne pouvais pas apercevoir le visage de l’enfant, seulement sa chevelure brune, bouclée. Candide, assise auprès d’une table, tricottait une paire de petits bas. Mais, chut ! on parlait…

— Paul met bien de temps à s’endormir, ce soir, n’est-ce pas, Annine ? demandait Candide.

— Oui, Candide. Mais il n’en dormira que mieux, le reste de la nuit, répondit Annine. Dans le moment, ajouta-t-elle, avec un sourire doux et maternel, il me paraît être très éveillé. Voyez !

Ce-disant, elle tourna le visage de l’enfant du côté de la vieille femme… et je le vis… Oh ! le bel enfant !… Et il était à moi, à moi !… Instinctivement, je tendis vers lui mes bras tremblants.

Oui, je les ramènerais tous deux au « château », la mère et l’enfant ! Annine ferait une exquise châtelaine, et mon fils, l’adorable enfant dont je venais d’entrevoir le visage doux et souriant, quel bonheur d’entendre son charmant babil dans les pièces par trop austères du « château » ! Il y aurait même place pour la vieille Candide chez nous… N’avait-elle pas accueilli Annine et son frère, alors qu’il étaient devenus orphelins ? En retour elle serait respectée et considérée par tous.

Je me disposais à frapper à la porte et demander admission, quand j’entendis parler, de nouveau, Annine.

— À qui trouvez-vous qu’il ressemble mon Paul, Candide ?

— Il ressemble au pauvre défunt petit Bernard, Annine ; il lui ressemble extraordinairement.

— C’est vrai qu’il ressemble à Bernard, répondit ma femme.

Je la vis regarder attentivement et tendrement le visage de son enfant, tandis que deux