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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/119

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LE BRACELET DE FER

ge naviguant sur le lac ; c’était un bateau d’un assez fort tonnage, et elle passait bien des heures à le regarder évoluer sur les flots, quoiqu’il fut très loin. Lorsqu’arriva l’automne, Annine vit le même bateau se diriger vers la côte, et bientôt, il fut à l’ancre, à moins d’un quart de mille de la grotte où elle avait élu domicile. Plusieurs soirs de suite, le bateau fut illuminé, puis, tout à coup, les lumières s’éteignirent, et la jeune femme comprit qu’on abandonnait le bateau, pour l’hiver.

Sautant dans sa pirogue, elle se dirigea vers le bateau, à l’arrière duquel elle lut son nom : L’épave.

Montant dans le bateau, elle en fit une inspection superficielle, et vite elle découvrit qu’il appartenait à Delmas Fiermont, son mari. Alors, elle ne se fit pas scrupule de s’y installer, et même, de puiser à même les provisions de bouche et autres, dont la cale était remplie. Bref, L’épave était devenue la résidence d’hiver d’Annine. Chaque printemps, elle retournait à sa grotte et y passait aussi l’été.

Un soir d’hiver, elle avait découvert une retraite sûre, dans la cale, à l’arrière du bateau ; une porte dissimulée, glissant facilement sur des rainures. Cette porte n’existait plus quand le charbon était entassé dans les soutes. Un petit escalier en spirale conduisait à la cabine No 6 ; on n’avait qu’à soulever une trappe légère, à la tête de l’escalier, pour pouvoir pénétrer dans la cabine. Après qu’elle eut fait cette découverte, Annine ne quitta plus L’épave, ni l’été, ni l’hiver.

Plusieurs années se passèrent. Enfin, le printemps dernier, L’épave avait été conduite à quatre milles de la rive ouest. Une véritable armée d’ouvriers, de peintres, de décorateurs, s’était mis à l’œuvre, et L’épave, rude bateau de cabotage, était devenu, comme par enchantement, un véritable petit palais.

— Pauvre Nilka ! dit Mme Fiermont, en terminant son récit, je crains bien vous avoir effrayée, plus d’une fois… Je vous ai entendu dire, un jour, à Joël, à Koulina ensuite, que vous entendiez le frôlement de longs vêtements, souvent, la nuit…

— Oui… Mais, je comprends tout maintenant, chère Mme Fiermont, répondit la jeune fille, en souriant.

— Et cette fois où Carlo vous a tant fait peur… Vous vous souvenez, Nilka, le jour où vous êtes restée seule sur L’épave, alors que votre père était allé à la pêche avec Joël ?

— Oui, certes, je m’en souviens ! Carlo voyait quelqu’un derrière ma chaise… Jamais je n’ai eu tant peur de ma vie !

— Pauvre petite ! s’écria Mme Fiermont. Voyez-vous, ce jour-là, n’entendant aucun bruit, et me croyant seule sur le bateau, je m’étais rendue jusqu’à la salle à manger. Mais Carlo me vit… Carlo est mon ami, vous savez ; il y a deux ans que nous avons fait connaissance, lui et moi. Il partait de Roberval et se rendait ici à la nage, assez souvent, passer un, deux, même trois jours avec moi.

— Et, la « Dame des Brumes », c’était vous, aussi, Mme Fiermont ? demanda Nilka.

— La « Dame des Brumes » ?… Qu’est-ce que la « Dame des Brumes », Nilka ?

— Nous la voyions souvent, depuis que nous avons tant de brume… Elle traversait le pont…

— Ah !… C’était moi, chère enfant. Profitant de la brume, qui devait, me semblait-il, me cacher à tous les regards, je faisais souvent une petite promenade sur l’arrière-pont…

— Tout s’explique, alors, et… la « Dame des Brumes » ne me fait plus peur, mère chérie ! s’écria la jeune fille, en entourant de ses bras le cou de Mme Fiermont. Mais, je tremble à la pensée de ce qui serait arrivé si Paul n’avait couché sur le deuxième pont et ne vous avait pas entendue respirer, dans la cabine No 6 !

— Madame, fit Alexandre Lhorians, qui avait attentivement écouté le douloureux récit de Mme Fiermont, permettez-moi de vous le dire : vous êtes une héroïne ! Plus d’une, à votre place, se fut laissée abattre par l’épreuve… Veuillez donc accepter l’expression de ma profonde admiration, en même temps que celle de mes hommages les plus respectueux et les plus distingués !

Ce soir-là, Mme Fiermont se mit à table avec nos amis, pour le souper, et ce fut un grand événement. Bientôt, la mère de Paul pourrait prendre part à la vie commune.

Chose certaine maintenant, c’était qu’elle serait tout à fait rétablie, pour le mariage de son fils et de Nilka, dont la date venait d’être fixée au 10 octobre ; c’est-à-dire, dans deux semaines.

Chapitre XI

PROJETS, QUI SE RÉALISÈRENT.


On était au 9 octobre ; le lendemain matin, Nilka deviendrait Mme Paul Fiermont. Huit heures du soir venaient de sonner à l’horloge de cathédrale d’Alexandre Lhorians.

Sur l’avant-pont de L’épave, un groupe, qui ne manquera pas de nous intéresser, est réuni. Il y a, d’abord, Nilka, et son fiancé, puis, Mme Fiermont, puis Alexandre Lhorians. À côté de l’horloger est un homme assez âgé, maigre, un peu courbé ; c’est un de nos vieux amis de Québec, le Notaire Schrybe. Le Notaire est venu à Roberval expressément pour préparer le contrat de mariage entre Paul et Nilka. À côté du Notaire est « tante Berthe » ; Madame Schrybe, depuis deux semaines. Les Schrybe, à leur retour à la Banlieue, prendront immédiatement possession de La Solitude, et quels aimables voisins pour les Fiermont que cet aimable couple ! Mais, continuons à nommer nos gens ; il en reste deux, deux jeunes filles de Québec : Estelle Delherbe et Renée Le Mouet. Toutes deux seront demoiselles d’honneur, au mariage de Nilka ; les garçons d’honneur avaient été choisis parmi des jeunes gens de Roberval : Pierre Laroche et Louis Lanthier.

Le mariage devait avoir lieu à dix heures de l’avant-midi. L’église de Roberval ressemblait à une serre ; jamais il n’y avait eu, et il n’y aurait jamais probablement, un aussi beau mariage à Roberval.

— Je vous assure, Mme Laroche, avait dit Cédulie à sa voisine, la veille, que ça va en être un beau mariage ! M. Paul a fait venir « tout un jardin » de fleurs, de la ville de Qué-