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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/19

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LE BRACELET DE FER

oncle, quand celui-ci reçut une lettre contenant une triste nouvelle : Gédéon Legrand était malade dans un hôpital de Chicago ; il devait être opéré dans deux jours, une opération fort sérieuse. Le lendemain, arrivait une dépêche annonçant que Gédéon Legrand était mort sur la table d’opération.

Huit jours plus tard, Delmas Fiermont recevait de son neveu une lettre lui demandant une extension de son congé. Il avait dix-huit ans maintenant, et il pouvait fort bien voyager seul ; si son oncle voulait lui permettre de continuer sa vie aventureuse, il lui en serait reconnaissant.

Eh ! bien, Delmas Fiermont n’avait jamais rien refusé à son neveu ; il accorda la permission demandée, mais non sans que cela lui coûtât un énorme sacrifice.

Pendant quatre ans encore, Paul voyagea, tenant toujours son oncle au courant de ce qu’il devenait, d’où il était.

Enfin, il y avait trois mois, Delmas avait écrit à Paul, le priant de revenir au « château ». Sept ans de voyages et d’aventures, ce devait être assez, et lui, Delmas, ne jouissait pas d’une bien bonne santé ; c’était le cœur qui allait mal. Bref, il rappelait instamment son cher neveu auprès de lui. Mais cette lettre était restée sans réponse et Delmas Fiermont était presque fou d’inquiétude.

Mme Jacquin, disait parfois Prosper à la ménagère du « château », Monsieur Fiermont finira par tomber malade, je le crains ; il ne mange pas, et c’est à peine s’il dort, je crois.

— Il s’ennuie de M. Paul, répondait Mme Jacquin. Pourquoi ne revient-il pas aussi, M. Paul ! Voilà sept ans qu’il est parti !

— Et pas de lettre de lui depuis trois mois ! Mon pauvre maître est presque malade d’inquiétude ; voilà !

— Ah ! j’espère qu’il ne lui est rien arrivé à M. Paul !

— Je l’espère, moi aussi !… Si je savais à quelle adresse lui écrire, je lui écrirais bien sûr, Mme Jacquin… Son oncle, qui ne lui a jamais rien refusé, se fait une maladie de ne pas recevoir de nouvelles !

Assis dans son étude, le soir où nous faisons connaissance avec lui, Delmas Fiermont pensait à Paul, et il se demandait ce que ce dernier était devenu… Qui sait ?… Peut-être avait-il trouvé la mort dans quelque désert ?… Peut-être avait-il succombé à la soif, à la faim, à la misère, lui, l’héritier du « château » et des millions de son oncle !… À cette pensée, Delmas frissonna et deux larmes coulèrent sur ses joues, qu’avaient creusées les inquiétudes et les angoisses de ces trois derniers mois.

— Je n’aurais jamais dû le laisser partir ! se disait-il. Du moins, j’aurais mieux fait de l’obliger de revenir, après le décès de Legrand !

À ce moment résonna le timbre de la porte d’entrée. Delmas Fiermont leva les yeux sur une horloge monumentale qu’il y avait non loin de son pupitre. (Entre parenthèses, Delmas Fiermont avait une vraie toquade pour les horloges monumentales ; il y en avait une dans chaque pièce du « Château »).

— Dix heures moins le quart ! se dit-il. Qui peut bien venir ici à cette heure ?… Trémaine, sans doute…

(M. Georges Trémaine était le voisin et ami intime de Delmas Fiermont).

Des pas pressés traversèrent le corridor, puis trois coups précipités furent frappés sur la porte de l’étude.

— Entrez !… Entre, Trémaine ! fit Delmas. La porte s’ouvrit… Un jeune homme de haute stature, au visage bronzé par le soleil, entra…

Tout d’abord, Delmas Fiermont demeura muet, tandis que son visage reflétait diverses émotions : celles de l’étonnement, de l’incrédulité, puis d’une immense joie. Enfin, il se leva, et tendant les bras vers le nouvel arrivé, il s’écria d’une voix remplie de larmes :

— Paul ! C’est Paul ! Ô Paul, mon enfant !

Chapitre III

UN ORNEMENT COMPROMETTANT


— Cher oncle Delmas ! fit Paul.

— Te voilà revenu enfin, et pour toujours, je l’espère, Paul ! s’exclama Delmas Fiermont. Chose étrange, je pensais justement à toi, et j’étais à me demander, pour la centième fois aujourd’hui peut-être, pourquoi tu n’avais pas répondu à ma dernière lettre, écrite il y a déjà trois mois…

— Je suis venu vous apporter la réponse moi-même, mon oncle, dit Paul en souriant.

— Oh ! Quel bonheur de te revoir, Paul !

Delmas Fiermont posa le droit sur un timbre, et au bout de quelques instants Prosper arriva. Delmas Fiermont n’était pas un égoïste ; il voulait faire participer à sa joie le personnel du « château ».

— Prosper, demanda-t-il, n’as-tu pas entendu le timbre de la porte d’entrée, tout à l’heure ?

— Oui, Monsieur, répondit le domestique ; mais comme j’ai entendu s’ouvrir la porte immédiatement après, j’ai cru que c’était M. Trémaine qui était entré vous voir, en passant.

— Ce n’était pas lui, Prosper.

— Alors, je regrette, Monsieur, de n’avoir…

Prosper se tut subitement ; c’est qu’il venait d’apercevoir quelqu’un qui, jusqu’à ce moment, s’était tenu dans l’ombre, mais qui venait de s’avancer sous la clarté de la lampe. Sur le visage du domestique aussi, se peignirent la surprise, l’incrédulité, puis la joie, et ce fut d’une voix tremblante d’émotion qu’il s’écria :

— Monsieur Paul ! C’est Monsieur Paul !

— Eh ! bien, Prosper, dit Paul, tu me reconnais donc, malgré que les années (sept ans, tu sais) ont dû beaucoup me changer ?

— Vous reconnaître, M. Paul ! Certes, oui ! Vous êtes très grand et tout bronzé ; mais vos yeux n’ont pas changé, non plus que vos traits… Ô M. Paul ! Quel bonheur de vous revoir !… Et c’est Mme Jacquin qui va être contente, elle aussi !

Mme Jacquin est-elle couchée, Prosper ? demanda Delmas Fiermont.

— Non, Monsieur ; je viens de l’entendre marcher, sur le second palier.

— Alors, va lui dire que je désire lui par-